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mercredi 24 juillet 2013

la victime, le prochain et la stigmatisation


On poursuit le débat autour du mot "victime", c'est quoi, "victime", ça veut dire quoi, "être victime", dans notre société ?

Et tout à la fin, on a un p'tit échange avec un personnage des saynètes du CREA'tif : la voix off...
 


Envoyé le : Mercredi 13 octobre 2010 23h25
Objet : la victime, le prochain et la stigmatisation


 

Alors ce soir, si gmail le veut bien, voici deux autres articles, et en PJ, tout de même, la source de tous ces articles : une revue qui s’appelle rhizome, et c’était le numéro 12.
Aussi, pour les noms des auteur.e.s des articles cités, vous pouvez regarder dans cette PJ.
D’ailleurs, vous verrez que dans ce même numéro, il y a, notamment, un article de Liliane Daligand.
(euh, finalement, vu le poids de la PJ, je vous mets la revue Rhizome simplement en lien, sinon des gens vont encore m'en vouloir de PESER dans leurs boîtes mail : lien vers Rhizome).

Donc tout d’abord, via le premier article, je nous fais revenir sur la notion de victime. Le fil conducteur pourrait être celui-ci : les victimes sont-elles nos prochains ?
(Je précise pour les quelques anti-religion tripaux qui sont dans cette liste, qu’il s’agit ici bien sûr de l’utilisation des valeurs portées par un texte qui a émergé comme réflexion dans une société donnée, où la fiction de Dieu jouait un rôle fondamental, mais dans la réflexion, ici, pour nous, ce n’est pas la fiction de Dieu l’important, c’est tout le reste qui est dit là en dessous).

« Le thème de la victime confronté à la parabole du bon samaritain (Une lecture de Paul Thibaud)

Disons le d’emblée, la lecture proposée par Paul Thibaud n’a rien de confessionnelle, elle utilise le texte biblique dans une perspective anthropologique et humaniste. Dans la même perspective, le texte du bon samaritain est d’ailleurs souvent cité dans divers domaines anthropologiques, par exemple en tant que fondement éthique de l’obligation juridique « d’assistance à personne en danger ».
 

Le texte évangélique dont il est question est un commentaire de l’obligation de l’Ancien Testament *: « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 17-18), obligation qui a, dans son contexte d’origine, une valeur communautaire : le prochain est le compatriote (ou l’étranger s’il est accueilli). Selon de nombreux commentateurs, l’évangile ferait passer cette obligation communautaire dans un champ universaliste : l’autre, le prochain, c’est tout homme. Or, Paul Thibaud conteste une lecture universalisante abstraite, qui pourrait déboucher sur des obligations elles-mêmes abstraites. 

Voici le texte commenté : dans l’Evangile de Luc (10, 29-37), un légiste (un juriste) pose la question : « et qui est mon prochain ? ». Jésus de Nazareth y répond par la parabole du bon samaritain :

Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent le laissant à demi mort. Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et pris soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier, en disant : « Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai à mon retour. Lequel de ces trois, à ton avis, s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? ». Il dit : « Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui ». Et Jésus lui dit : « Va, et toi aussi fais de même ».

Paul Thibaud évite une lecture compassionnelle et n’introduit aucun pathos dans son analyse. Il constate tout d’abord que plusieurs éléments ne font pas partie de la problématique de ce texte : la question des brigands, qui concerne l’exercice de la police et de la justice, et la question des rôles sociaux, interrogée par la conduite d’évitement du prêtre et du lévite (qui n’ont pas le droit de toucher un corps en dehors des rituels prescrits). 

Ce qui est abordé, c’est la réponse pratique à la question : « et qui est mon prochain ? » Le prochain n’est pas l’autre mais celui qui se rapproche de l’autre, décrit ici comme « un homme » blessé rencontré au bord du chemin. Remarquons comment l’agressé ainsi considéré n’est pas enfermé dans la condition de victime : rencontrée à partir de sa détresse, il enclenche la contingence d’un élan personnel. 

On pourrait croire que la parabole ne semble pas éclairer la question de la victimologie sinon en renvoyant à un sentiment de sollicitude vis-à-vis des victimes, ce qui est commun aussi bien au tenant de la victimologie qu’à ceux qui en soulignent l’insuffisance. A la limite, la parabole pourrait laisser entendre que pour faire face aux situations très difficiles auxquelles nous sommes confrontés, un peu de bonne volonté et de compassion suffirait. 

Pourtant, Paul Thibaud ne prône pas, dans son analyse, la voie courte de la prise en charge victimologique, mais bien plutôt l’affrontement à la complexité du monde humain. Il tend à dépasser la polémique opposant la justice à la charité en abordant de manière critique les procédures de solidarité contemporaines : « La crise actuelle des systèmes de droits sociaux vient nous rappeler que cette prétention (des systèmes de répartition et d’assurance) repose sur un oubli, celui de l’implication personnelle… la mondialité relance une demande qui était (relativement) satisfaite dans le cadre des socialdémocraties nationales, la demande d’être distingué, élu, considéré pour soi-même, dans sa particularité. L’éthique de la répartition était implicitement complétée par le sentiment d’appartenance à une communauté politique. La mondialisation non seulement met en défaut l’éthique de la répartition puisque nous n’arrivons pas à l’étendre universellement, mais (…) elle en révèle l’insuffisance ». Dans une société à tendance cosmopolite et mondialiste, la question « et qui est mon prochain ? » interroge opportunément sur les conditions d’une universalité concrète, contingente, historique. »



En passant, puisque le mot mondialisation est prononcé, j’en profite pour renouveler ma spéciale dédicace à la mondialisation, et surtout, surtout, à son infrastructure matérielle sans laquelle je ne pourrais envoyer le présent courriel ni tous ceux qui ont précédé [internet].
Donc j’en profite aussi pour renouveler ma spéciale dédicace aux égoutiers des télécoms [vocabulaire du nouveau management de la boite, qui conduit certains d'entre eux.elles au suicide...], anciennement dénommé(e)s les technicien(ne)s des télécoms.

Et puis je passe à l’extrait suivant : un article d’une anthropologue, qui évoque ce que c’est que « être victime » aujourd’hui, en France (son terrain était autour de Paris).
Enfin, être victime : plus précisément, être victime de vol ou d’agression physique mais non sexuelle, l’auteure ayant choisi d’exclure le viol de son champ d’étude, après avoir constaté que les réactions de l’entourage dans ces cas différaient de celles rencontrées pour les agressions non sexuelles.
De facto, il semble que dans la société française, ici objet de l’étude, les victimes ne sont plus exactement des prochains…
L’autre intérêt de ce dernier texte est bien sûr, pour moi, de questionner l’approche exclusivement psy des victimes, alors que « les victimes », cela concerne aussi les sciences sociales.


« L’agression : une brèche dans l’ordre moral
 
L’agression ordinaire - un cambriolage, un vol à l’arraché d’un sac à main, une agression physique - est toujours rapportée par les victimes, mais aussi parfois les proches, comme une offense qui les affecte dans l’intimité de leur être. Elle les précipite dans un état de bouleversement, où chacun expérimente des désordres physiques, psychiques, émotionnels, cognitifs, activés par une intense souffrance. 

De telles manifestations induisent un encodage de l’agression presque exclusivement psychologisant dans l’espace social. Si ce dernier va de soi venant des psychologues et des psychanalystes, il paraît plus surprenant de la part des victimologues et des sociologues. 

Quand bien même l’agression atteint les individus comme « sujet psychologique », leur expérience ne peut se réduire à une approche « psy », quelle qu’elle soit, qui ne retiendrait que la singularité subjective des effets de l’agression sur une personne particulière, avec sa biographie, ses traumas et ses conflits psychiques. La réaction des victimes et des familiers affectés -leurs paroles et leurs conduites- s’inscrit toujours dans des montages institutionnels (ensemble des institutions, des codes, des règles, des lois, des discours) qui leur préexistent. 

Dit autrement, la pensée réflexive et les réactions individuelles et collectives que suscite l’agression sont pétries de représentations sociales et culturelles et relèvent d’une véritable sociabilité. Ces constructions sociales rendent nécessaire une approche ethnologique de l’agression. 

Un exemple pour illustrer ce propos. Les victimes et leurs proches parlent de l’agression comme d’un malheur (c’est un « désastre, une catastrophe », une « mauvaise expérience »), qui exige interprétation pour être maîtrisé. Ce malheur est perçu telle une sanction injuste qui fait mal et vaut punition. Pour eux en effet, la vie humaine à une signification morale qui garde trace des idées morales promues par le judéochristianisme et relayées puissamment par l’école laïque 1 : faire le mal attire le malheur – une variante du « mal attire le mal » ; faire le bien, bien agir (probité, gentillesse, tempérance, etc.) préserve du malheur et attire le bonheur. Le bonheur récompense les « gens du bien » ; le malheur sanctionne les « méchants ». 

En renversant cet ordonnancement du monde qui relève d’une logique du mérite, l’agression ouvre une brèche dans l’ordre moral et affecte les victimes comme « sujet moral » : « J’ai toujours eu une vie simple, honorable, je ne suis pas méchant. Je ne mérite pas ça. C’est terrible, c’est l’horreur ! », raconte une victime.

« Se déchaîne alors le sentiment fantasmé d’être élu pour la souffrance. On parlerait de cette malédiction comme d’une élection à l’envers. C’est de là que surgit la question “Pourquoi moi ?” », écrit Paul Ricoeur2. Au moment même où cette question du « Pourquoi moi » est énoncée, se mettent en place des procédures d’imputation de responsabilité. 

Un doute surgit alors sur la personne de la victime qui la drape d’une suspicion qui ne s’épuisera jamais ou que fort lentement : la victime ne mérite-telle pas ce qui lui arrive ? Par son comportement - trop confiante en sortant seule le soir, pas assez méfiante, elle quittait sa maison en laissant les fenêtres ouvertes, etc. - n’a-t-elle pas transgressé une obligation morale inconditionnelle qui incombe à chacun : celle de protéger sa personne (devoir d’autoprotection) et ses biens (devoir d’auto-préservation). 

Ces devoirs découlent d’une conception du monde - plus ou moins explicite et inspirée par le droit positif : gérer les biens « en bon père de famille », « obligation d’assistance à personne en danger » - selon laquelle les individus sont reliés entre eux par des conventions qui régissent la civilité ordinaire. Si les victimes endossent cette imputation (« c’est ma faute, je n’ai pas été assez méfiant »), ses proches peuvent également se sentir responsables de ne pas avoir su la protéger, elle et ses biens. 

Ces auto-accusations ne renvoient pas à la culpabilité, mais bien à la responsabilité, en vertu notamment des conventions qui enserrent les gens dans un lien social où ils se sentent dans l’obligation dues aux contraintes du lien. 

Dans ces mises en accusation cependant, seules les victimes sont rejetées aux frontières de la civilité. Plus même. La manière dont elles rapportent l’atteinte à leur vitalité montre leur crainte de ne plus être un membre civilisé et policé de la société. Elles ont basculé dans un entre-deux-mondes qui rappelle l’état de nature et de la sauvagerie. Elles sont rabaissées dans l’ordre de l’humanité : « Quand je me regardais dans la glace, je me disais : “mais tu n’as plus face humaine”… Et cette haine, cette colère, est-ce normal ? Je suis devenue comme lui ? Je suis devenue méchante. J’aboie à mon tour pour un rien. » 

Dès lors les victimes n’auront de cesse de se ramener dans l’ordre de l’humanité en tentant de se réhabiliter comme « sujet moral ». 

Une des voies possibles est de prouver à soi-même et à ses proches que dorénavant, responsables, elles savent se protéger et préserver leurs biens. Au coeur de l’expérience d’agression (du processus de victimation), l’engagement de la responsabilité de la victime et de ses proches leur permet de troquer une position passive contre une position active. 

Dans le processus de victimisation, la figure de l’auto-accusation côtoie celle de la mise en accusation d’un autre - notamment, l’autre agresseur. Il n’en est plus de même dans le processus victimaire où les imputations de responsabilité se limitent à des mises en accusation d’un autre, le plus souvent la société et ses avatars, et où la figure de l’auto-accusation disparaît, témoignant du même coup d’une transformation en profondeur de la conception que les individus ont de la responsabilité et de leur rapport aux instances tutélaires. »



Ils sont présents depuis quelques temps déjà ici dans notre petit groupe cosmopolite.
Mais ils ne sont pas encore intervenus dans le débat : timidité ? Difficulté du chercheur à s’exprimer hors les murs de l’amphi ou hors le cadre d’un colloque pour chercheurs.euses uniquement ?
Pffff…. J’aurais pas cru.
Mais faut croire.

Dire que vous avez une agora, une vraie, pour une fois, et que vous n’osez pas vous en emparer.
Seules des personnes qui ne sont jamais intervenues dans aucun colloque ont jusqu’à présent osé s’exprimer pour me contredire ou me nuancer, ici.
Finalement, n’est-ce pas par la timidité d’autrui que l’on se transforme, peu à peu, en voix off qui monologue ?

Mais, tiens, revoilà la voix off, précisément.
Alors pour info, on a fait un deal, elle et moi : elle veut bien continuer à jouer le rôle de la voix off, donc elle veut bien que je continue à la désigner par ce nom. Elle veut bien aussi continuer à jouer le rôle de la méchante voix qui est là juste pour enquiquiner tout le monde (alias moi, son nombril …). Mais (car il y a un mais) à une condition : que personne n’oublie que c’est juste un rôle auquel elle se prête pour les besoins de la cause, et qu’on la remercie pour avoir bien voulu tenir ce rôle difficile.
Hmmm ? Ce qui veut dire ?

Mouais, la voix off me souffle que c’est la partie du deal qui reste à discuter …

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