Bonsoir,
Voici
donc la suite de la discussion sur « les victimes », toujours en
présence de notre invitée (temporaire et intermittente), Liliane Daligand.
Après
Denise Schiller, qui nous disait qu’avoir subi un trauma rend plus sensible aux
souffrances d’autrui, voici de nouveau Auteure obligatoirement anonyme, qui
nous communique une forme de réplique :
Auteure
obligatoirement anonyme me fait, en effet, remarquer que certaines victimes
réagissent au contraire en devenant « indifférentes », et elle me
renvoie à cette partie là de son site :
où
je trouve :
« De l'esprit des lois (1748)
Les lois
inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de
Secondat, baron de Montesquieu
11 octobre 2010
Page
138
On retrouve cette indifférence émotionnelle dans un contexte très différent,
celui du camp de concentration, avec à nouveau les vertus positives et
négatives d'une telle réaction. Le psychiatre V. Frankl précise qu'après une
première phase assez courte d'intense choc émotionnel, les prisonniers
passaient au stade de l'indifférence et de l'insensibilité aux émotions.
Par exemple, ils ne détournaient plus les yeux lorsqu'ils voyaient leurs
compagnons d'infortune subir un châtiment quelconque. Ils étaient devenus
insensibles aux émotions, indifférents à tout. Rentrer dans leur coquille leur
évitait d'être atteints psychologiquement par les drames qui se jouaient autour
d'eux. L'indifférence « faisait partie du mécanisme d'autodéfense de chaque
prisonnier. La réalité s'estompait alors, et il pouvait concentrer tous ses
efforts sur une seule chose ; sauver sa peau et aider ses compagnons à sauver
la leur
42. »
Réaction utile de survie donc, mais qui comporte aussi sa face noire, puisque cette
réaction, nous dit V. Frankl, réduisait également la vie intérieure du
prisonnier à un état quasi primaire.
42 V. Frankl, Découvrir un sens à sa
vie, op. cit. p. 47 »
Ceci pour moi fait écho à cette
partie de mon travail de recherche :
« On se souvient
qu’Aurélie avait parlé à ses parents, à 8 ans, des violences sexuelles qu’elle
subissait de son demi-frère régulièrement, durant leurs absences. Ce demi-frère
a été corrigé à coups de ceinturon par leur père, la mère restant sans
réactions. L’affaire a été close ainsi par les parents. Cet incesteur, quant à
lui, a continué ses agressions jusqu’à son départ de la maison.
Bien plus tard, en
2002, suite à son début de psychothérapie, Aurélie recontacte sa mère par
téléphone. Elle apprend alors que sa mère avait été incestée par un oncle
paternel, mais
« Aurélie-[citant
sa mère parlant d’elle : ] « Et puis elle est pas forte, parce que
moi aussi je sais ce que c’est : j’ai subi ça trois fois
[inaudible] », puis elle avait été plus forte que moi parce qu’elle elle
était arrivée à garder …
M-Ah ouais ! [ton
surpris]
A-Ah ouais, et que moi,
j’étais faible »
Faible pour
n’avoir pas gardé le secret, la force étant ici de savoir se taire !
Quelle règle !
Stéphane La Branche explique que
« Les règles apprises dans des situations bien précises [par exemple
d’abus incestueux] et névrosées en viennent à se généraliser et à se
pérenniser. (…) Les règles internalisées deviennent la façon unique de vivre,
de ressentir, de percevoir et de se comporter avec les autres. Ceci permet
aux relations de pouvoir [ici, à l’inceste] de se propager. »
(Stéphane La Branche,
2003, p. 32).
Voici la suite de
la mise au jour de cette propagation : en 2002 également, un soir, Aurélie
regarde une émission à la télé en compagnie de son petit frère. C’est une
émission de Delarue sur l’inceste. A la fin, elle lui explique que ça lui est
arrivé à elle aussi, ce qui est montré à la télé, et demande à ce frère de ne
pas le répéter. Il lui répond alors que lui aussi a été abusé par ce demi-frère :
« Aurélie-M’enfin lui il dit « voilà, moi, j’ai subi
des choses, mais quelque part, j’ai pas été trop maltraité, hein. Il me dit,
voilà, j’ai fait ma vie »
Et
toujours avec Stéphane La
Branche, je remarque ici que « La dénégation se
manifeste dans le silence que la victime s’applique à elle-même, ce qu’elle
s’empêche de penser. Elle nie la colère, la peur et même les événements et leur
importance. (…) [Mais] lorsque l’enfant nie pour lui-même ce qui s’est passé au
sein de la famille, il commence à internaliser les règles de la dynamique
familiale induites par l’abus, et à les accepter comme étant les siennes »
(Stéphane La Branche,
2003, p. 29).
Aurélie a
moins bien réussi dans cette entreprise, c’est probablement pour cela qu’elle passe pour la « faible », la
« fragile psychologiquement », la « malade » de la famille,
notamment auprès de sa petite sœur.
Lasse de ce statut, justement, elle lui
explique lors d’une conversation téléphonique les incestes qu’elle a subis de
leur demi-frère. C’est à la suite de cette conversation que la petite sœur
retrouve ses souvenirs d’abus à elle …
Enfin, en 2006,
après une séance de psychogénéalogie, Aurélie ressent une colère contre
elle-même et contre sa mère qui la conduit à l’envoi d’une lettre à cette mère,
au demi-frère agresseur, et à sa grande sœur, avec copie pour information à son
petit frère et à sa petite soeur.
C’est alors que la
grande sœur confie à leur petit frère avoir été elle aussi abusée…en lui
demandant également le secret. Secret dont aura vent Aurélie à l’occasion d’une
conversation avec ce dernier, car, me précise-t-elle, quand il a bu, il devient
plus facilement bavard.
Elle comprend donc
là que son demi-frère a abusé de toute la fratrie. Cela la pousse à téléphoner
à une des filles de ce demi-frère, qui a deux filles et un garçon, tous
majeurs. Sur le coup, cette dernière ne lui répond rien. Mais le soir, elle
craque, et va confier au petit frère d’Aurélie que son père, le demi-frère
d’Aurélie, l’a abusée elle aussi.
On se souvient alors qu’Aurélie avait pensé à porter plainte, autour de
ses 21 ans. Mais qu’elle se disait à cette époque qu’il fallait plus soigner
son jeune incesteur que le punir (ni l’un ni l’autre n’a de toute façon pu être
tenté). Aujourd’hui, elle regrette ne pas avoir porté plainte alors, quand elle
voit le nombre de personnes qu’il a abusé cependant qu’elle pensait être sa
seule victime : son opinion est que seule la police peut arrêter cela,
sinon, affirme-t-elle, cela va continuer sur des générations.
La nièce d’Aurélie ne voulant pas porter plainte contre son incesteur,
ce dernier est toujours dans l’impunité. Aurélie étant de toute façon hors
délais pour porter plainte elle-même, conclut, crûment :
« Aurélie-Alors faut attendre la chair fraîche. »
Quant à sa situation vis à vis de sa mère, suite à cette dénonciation
de son incesteur dans sa famille, elle transparaît dans les attitudes de cette
dernière alors qu’elles sont au chevet de la petite sœur, atteinte d’une
maladie dont elle mourra peu après :
« Aurélie-Elle a
fait comme si j’étais une étrangère. (…) J’étais dans la chambre d’hôpital,
j’aurais été la voisine de ma sœur c’aurait [inaudible]. Je faisais plus partie
de la famille. »
C’est ainsi que lorsque la victime « persiste dans sa révélation
et sa dénonciation, [elle sera alors], et avec elle ceux qui la soutiennent,
(…) vraisemblablement sacrifiée ou rejetée, implicitement ou non : on
oubliera de lui rendre les clefs de la maison de campagne, on ne la conviera
plus aux réunions familiales, à moins qu’on refuse définitivement de la
revoir. » (Dorothée Dussy et Léonore Le Caisne, 2007, p. 30).
L’histoire de Lydia pourrait
presque être la suite de celle-ci, à la différence qu’Aurélie a fait au mieux
pour dénoncer son demi-frère, et que Lydia a porté plainte contre son
père
« Lydia-je
vais revenir quelques années avant, heu, quand rien ne se savait, je devais
avoir 21, 22 ans, quelque chose comme ça. J’allais dans sa famille à lui,
notamment chez une de ses sœurs à lui, donc une de mes tantes, et un jour je
lui ai dit : « voilà ce que ton frère m’a fait », elle m’a dit
textuellement « je te crois, il m’a fait la même chose quand j’étais
jeune ». (…)
M-Donc elle elle a été
abusée par son frère aîné ?
L-Voilà, quand ils
étaient jeunes. Sauf que elle me dit écoute, je croyais que c’était normal, et
elle m’a dit après j’ai rencontré mon mari et après j’ai fait ma vie.
(…) Et elle a ma mère
au téléphone, et à un moment donné j’entends ma mère crier « mais pourquoi
tu l’as pas dit avant, ça fait 7 ans que ma fille elle souffre ! »,
donc ma tante venait d’avouer à ma mère, que ben elle avait été abusée par lui
quand elle était jeune (…) Moi lors de la plainte, je me suis pas démontée(…),
j’ai dit ben voilà ce que ma tante m’a dit, elle l’a avoué à ma mère et à mon frère.
Donc maintenant il va sans dire que je suis personne non grata là-bas, vaut
mieux pas que j’aille foutre les pieds à [ville] parce que sinon
M-Y compris auprès de
ta tante ?
L-Surtout auprès de ma
tante ! Elle voulait pas que ça se sache, donc, voilà. (…)
M-En fait comment tu es
devenue persona non grata pour elle, comment ça s’est … ?
L-Ah ben quand j’ai
porté plainte contre son frère.
M-Et … enfin, elle t’as
dit reviens plus me voir ? Enfin ça c’est passé comment ?
L-Ah oui oui, bien sûr,
bien sûr, c’est, t’aurais pas du faire ça, euh, voilà, mes grands-parents
[paternels], c’est (…) on n’est plus tes grands-parents, enfin voilà quoi »
Cette tante a quant à elle, lors
du procès, nié avoir subi des abus incestueux, et a finalement contribué à
financer l’avocat de l’incesteur de Lydia.
Ainsi, nous voyons se dessiner à
travers ces deux cas de figure, d’une part, l’existence d’une véritable
généalogie de l’inceste, connue partiellement des incesté/e/s dès lors qu’elles
ont commencé à parler dans leur famille d’origine. D’autre part, le rôle clef
du silence dans la continuation des violences incestueuses, dans la
continuation de cette généalogie de l’inceste, et enfin, un véritable système
de sanctions interne à la famille. Là où la Justice ne juge pas l’incesteur,
la famille proche de l’incesteur, elle, en revanche, sanctionne l’incesté/e qui
a osé parler ou porter plainte, et ce d’une des sanctions les plus sévères
possibles : l’ostracisation, le bannissement. » (Perrin, 2008, pp
78-80).
Voilà peut-être à quelles
situations peut mener, à l’extrême, cette « indifférence »
émotionnelle, acquise.
Mais Auteure obligatoirement
anonyme, puisque ton extrait évoque les camps, puis-je me permettre d’en
rajouter une couche ?
Je ne l’ai ni exploré, ni formulé
en ces termes, parce que pour d’obscures raisons je n’ai jamais réussi à mettre
la main, jusqu’à présent, sur le bouquin qui en parle. Pourtant, comment ne pas
penser à la « zone grise » explicitée par les écrits de Primo Levi
pour les camps, lorsque l’on lit le récit qui suit (concernant la grande
sœur d’Aurélie, en bas) ?
« Ainsi, c’est incidemment
que Paulette m’apprend cette autre agression, clairement incestueuse, par son
cousin : après avoir évoqué l’histoire, douloureuse, de sa fille durant
quasiment la face A entière de la première cassette, puis les viols
qu’elle-même a subis dans sa famille d’accueil. Et c’est de me raconter cette
discussion avec sa mère qui la conduit, presque sans le faire exprès on dirait,
dans le fil du récit, à évoquer l’abus par ce cousin.
Mais alors
surgit un autre problème : celui de l’âge, de l’écart générationnel.
« M-Oui oui. Et …
il était, il avait quel âge par rapport à toi ?
P-Il avait 8 ans de
plus que moi. Donc si tu veux, c’est pas des gens de la même génération.
M-De la même
génération ?
P-C’est pas, c’est pas,
c’est pas des gens qui ont, qui avaient le même âge que, c’est pas, ils
n’avaient pas le même âge que moi [le fils aîné de la famille d’accueil, ainsi
que le cousin]
M-Oui oui oui oui.
P-Y’avait une différence
d’âge. »
Qui vient comme en écho à cette
citation : « Il s’agit ici de frères nettement plus âgés que l’enfant
abusé. Dans les cas d’inceste frère-sœur, le frère est le plus souvent pubère,
alors que sa sœur est encore une enfant. Les jeux sexuels entre enfants du même
âge font partie d’un domaine très différent, celui de la découverte de
l’identité sexuée, et n’ont de ce fait rien de pathologique » (Gruyer –
Nisse – Sabourin, 2004, p. 105, note n°19).
Mais alors, répond Agnès, que je
connaissais auparavant uniquement comme incestée par son père :
« Agnès-Et puis
dans cette atmosphère-là, ben, j’ai … le premier frère, donc, de cette nouvelle
fratrie, qui à l’âge de 4 ans, donc, c’est suite à la découverte et à la
réouverture des mémoires, que ce grand frère, (…) donc euh, m’a violée, et j’ai
gardé cette blessure physique au fond de moi toutes ces années, sans savoir …
Mais je pense que ça a été quand même … terrorisant et violent au point que
j’ai pu en perdre connaissance et en perdre la mémoire. C’était vraiment à ce
moment-là je pense, que ça a été enfoui. Mais à partir de là, j’étais dans une,
je me souviens d’être dans une terreur totale, pour tout (…)
M-Ce frère il a combien
d’années de plus que toi ?
A-Il est décédé
aujourd’hui.
M-Il est décédé ?
A-Ouais, ouais il est
décédé à cinquante euh …
M-Hmm, il est mort
jeune !
A-A cinquante, non
cinquante deux. Cinquante deux. Dans des conditions dramatiques. Donc, combien
d’écart on avait, euh, 6 ans.
M-Hmmhmm
A-Donc il avait heu …
une dizaine, dix onze ans quand ça c’est arrivé, ça, cet événement, en fait
M-Quand il t’as violée
en fait ?
A-Ouais quand il m’a
violée. C’est vrai que c’est un mot que j’ai encore du mal à employer et je
sens que l’émotion est forte.
M-Ouais, ouais.
A-[inaudible]
Et heu … Donc c’était un gamin quoi si tu veux, il savait pas ».
Aurélie
enchaîne à son tour :
« Aurélie-Enfin
bon moi ce qui a fait que … Moi c’était mon frère. [inaudible]. Donc on avait
euh, 5 ans, 5ans … il avait 5 ans de plus que moi
Moi-Ouais
A-Et j’étais, j’étais
jeune, mais lui aussi
M-Hmhm
A-J’avais 5 ans donc
lui euh, il avait 9 ans »
Puis elle
apprend que sa grande sœur a aussi été incestée par ce demi-frère aîné :
« A-Puisqu’elle
s’est confiée à mon petit frère, en pleurant, en disant ce qu’elle avait subi,
[inaudible]. Elle a subi des choses, et elle a fait subir.
M-Elle a subi de …
A-Moui. Alors est-ce
qu’elle a subi …
M-… du grand
frère ?
A-… consentante ou pas,
ça !
M-Euuuuh … elle a subi
enfant ?
A-Ben elle avait deux ans de moins que lui alors …
M-La question elle se
pose pas
A-Ouais mais je pense
que y’a eu des choses où elle était consentante, donc à mon avis un peu
[inaudible]. C’est pour ça qu’elle dit rien, qu’elle euh, elle fait comme si de
rien
M-Tu veux dire que il
lui a pas imposé de choses par la violence quoi ?
(Silence, pas de
réponse, quant à moi je passe à un résumé reformulation oral de tout ce que
j’ai retenu … et nous reprenons sur autre chose) »
Ainsi, les
violences sexuelles par un germain pré-pubère, rarissimes selon des psychologues,
sont relatées par deux incestées sur mes cinq entretiens. Si l’on ajoute les
abus sur d’autres membres de la famille, c’est l’absence d’abus par un garçon
de la même génération, souvent un germain, pubère ou non, qui devient
l’exception dans mon corpus.
Et, même quand
la différence d’âge est faible, il s’agit bien d’abus, et non d’expériences de
découverte mutuelle par « touche pipi », selon l’expression
consacrée : lorsque Aurélie s’interroge sur le consentement de sa grande
sœur, aussi bien que lorsqu’elle évoque, plus loin, le « jeu du
gynécologue », consentement et « jeu » se situent dans le cadre
d’un rapport de domination puisque, consentante ou non, l’on
« subit », c’est le mot qu’elle emploie.
Il faut de plus préciser
qu’Aurélie, juste avant, m’expliquait que cette grande sœur, tout en ayant été
incestée par ce demi-frère, a également été sa complice pour l’agression des
cadet/te/s, en étant infirmière dans ce « jeu du gynécologue », où
lui était le gynécologue, ce qui induit que la question du consentement de
cette sœur peut aussi être mise en relation avec la question suivante : le
statut de complice est-il compatible avec celui de victime ? »
(Perrin, 2008, pp 66-68).
Vaste question que je n’ai fait
que poser … et qui prend sens lorsque j’entends une ancienne victime d’inceste
me dire « mais elle, pour moi, c’est avant tout une victime, quand même,
donc si elle s’excusait je pourrais lui pardonner, parce qu’elle reste une
victime, pour moi ».
Pendant ce temps-là, sur une
étagère, chez moi, j’aperçois ce vieux livre-calendrier de 1991, rédigé en
Allemand.
Sur la couverture, il est juste
marqué quelque chose qui est une citation d’Albert Camus :
« Weder Opfer noch Henker ».
C’est à peu près cela.
A l’époque, en 1991, j’avais pris
mon dictionnaire, qui était juste à côté, et j’avais traduit :
« Weder … noch » :
« ni … ni ».
« Opfer » :
« victime »
« Henker » :
« bourreau ».
« Ni victime ni
bourreau ».
Dans cette phrase, il y avait
pour moi l’idée qu’autre chose était possible que ce monde-là, d’une part, et
d’autre part, l’idée que l’un n’allait pas sans l’autre. Que c’était ou bien
« ni victime ni bourreau », ou bien « la victime et pas loin, le
bourreau », comme un système relationnel qu’il fallait mettre en cause en
entier.
Je n’ai jamais su de quel ouvrage
d’Albert Camus était tirée cette citation.
Qu’importe.
Toujours est-il qu’elle était là,
sur ce livre-calendrier, allemand, qui s’intitulait :
« grasswurzelrevoluzion » (littéralement : « révolution par
la racine des herbes » - grass = herbe, wurzel = racine, revoluzion, bon,
ça se lit direct hein. Et le tout en un seul mot car en allemand on colle tout,
ce qui fait un nouveau mot qui fait bien peur aux étranger.e.s car ils.elles
croient que c’est hypercompliqué alors que c’est juste écrit
« grass-wurzel-revoluzion » sans nos tirets habituels. Voilà).
Et donc, toujours est-il qu’à
cette époque-là, j’ai compris en lisant cette citation en Allemand, qu’il y
avait comme un changement de monde entre celui où il y a « victime et
bourreau », et celui où il n’y a ni l’un ni l’autre.
L’idée m’effleura également
qu’ils étaient tellement proches, victimes et bourreaux, que à force, l’un
pouvait devenir l’autre, comme dans un cycle absolument infernal dont on ne
sortirait jamais … à moins de sortir de ce monde-là dans son entier, pour
entrer dans un autre système relationnel.
…bien sûr, les exemples pris
jusque là dans le présent courriel, vont dans le sens du « on n’en sort
jamais », c’est fait pour.
Mais s’il existe des victimes qui
deviennent complices (voire plus ?), loin de la théorie dite « de la
reproduction des abus à la génération suivante », il me faut souligner
qu’il semble exister une pluralité de chemins.
En voici un autre, radicalement
opposé aux précédents :
« La généalogie de l’inceste
est d’ailleurs particulièrement impressionnante ici, Mr Tromosh ayant abusé au
moins dix enfants dans la famille. Pour autant, elle montre aussi que le terme
« généalogie de l’inceste » est peut-être trop restrictif : dans
la famille de Danielle, il n’y a semble-t-il pas eu d’incestes auparavant. En
revanche, il y a eu de la violence intrafamiliale et au moins un abus sexuel
non entendu.
Violence du grand-père sur la
grand-mère maternelle de Danielle, ainsi que sur leurs trois enfants (dont la
mère de Danielle). En plus des coups, Danielle me cite la répartition de
l’espace dans ce foyer : son grand-père s’était réservé pour lui seul une
des deux pièces de 15m2 de l’appartement, qu’il fermait à double
tour. Après la naissance de leur dernier enfant, son épouse a dormi sur un
matelas dans la salle à manger, cependant que leurs trois enfants se
partageaient la pièce restante, minuscule (« 3m2 »,
m’explique Danielle).
Abus sexuel non entendu,
enfin, celui de cette même grand-mère, enfant, par un garçon de ferme :
elle n’a pas été crue par sa mère quand elle a tenté d’en parler. C’est
d’ailleurs cette expérience qui l’aide à croire Danielle d’emblée. Et c’est
précisément lorsque Danielle lui confie ce que lui faisait Mr Tromosh, que
cette grand-mère lui apprend ce qu’elle avait subi elle aussi jadis. »
(Perrin, 2008, p 81).
Et c’est l’action de cette
grand-mère, paniquée d’apprendre qu’elle a une sorte de Dutroux dans la famille
(il est « pédophile », c’est en 1996 que Danielle lui en parle …),
qui permettra de mettre au jour l’ensemble des abus commis.
En effet, sa réaction, très
appropriée, est de téléphoner immédiatement à tous les membres de cette famille
pour les informer qu’il est pédophile. Surprise : lorsque ces derniers
questionnent leurs enfants, qui sont les petit.e.s enfants de Mr Tromosh,
tou.te.s ont été abusé.e.s par lui …
Alors, « victime de
trauma » (pour reprendre cette formulation), cela est un point de départ
qui débouche sur combien de chemins possibles ?
Je termine, ce soir, par cette
question.
Non.
Je ne termine pas.
Je veux ajouter que la question
de l’indifférence acquise me parle.
C’est un piège redoutable, qui
vous rend insensible à ce que l’on vous fait et, partant, le normalise, le rend
normal s’il est commis devant vous sur d’autres aussi.
Devoir se blinder d’indifférence,
c’est potentiellement s’engager sur le chemin de la tante de Lydia ou de la
grande sœur d’Aurélie.
Enfin, du moins, pour ce que j’en
connais par mon expérience personnelle cette fois.
Denise, est-ce que cela te parle,
l’indifférence, et si oui, comment tu la situerais vis-à-vis de ce que toi tu
apportais l’autre jour (sur la sensibilité accrue à la souffrance d’autrui,
c'est-à-dire l’inverse de cette indifférence) ?
Cette fois, j’ai fini pour ce
soir.
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