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jeudi 28 novembre 2013

les victimes ... sous une bonne couche de glace sibérienne ?


Envoyé le : Lundi 18 octobre 2010 21h50
Objet : [CREA'tif] les victimes ... sous une bonne couche de glace sibérienne ?


Bonsoir,

Voici donc la suite de la discussion sur « les victimes », toujours en présence de notre invitée (temporaire et intermittente), Liliane Daligand.

Après Denise Schiller, qui nous disait qu’avoir subi un trauma rend plus sensible aux souffrances d’autrui, voici de nouveau Auteure obligatoirement anonyme, qui nous communique une forme de réplique :

Auteure obligatoirement anonyme me fait, en effet, remarquer que certaines victimes réagissent au contraire en devenant « indifférentes », et elle me renvoie à cette partie là de son site :

http://viols-par-inceste.blogspot.com/2010/10/14-apres-un-choc-emotionnel-les.html

où je trouve :


« De l'esprit des lois (1748)

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu

11 octobre 2010

14/ Après un choc émotionnel, les prisonniers passaient au stade de l'indifférence et de l'insensibilité aux émotions

Page 138
On retrouve cette indifférence émotionnelle dans un contexte très différent, celui du camp de concentration, avec à nouveau les vertus positives et négatives d'une telle réaction. Le psychiatre V. Frankl précise qu'après une première phase assez courte d'intense choc émotionnel, les prisonniers passaient au stade de l'indifférence et de l'insensibilité aux émotions.
Par exemple, ils ne détournaient plus les yeux lorsqu'ils voyaient leurs compagnons d'infortune subir un châtiment quelconque. Ils étaient devenus insensibles aux émotions, indifférents à tout. Rentrer dans leur coquille leur évitait d'être atteints psychologiquement par les drames qui se jouaient autour d'eux. L'indifférence « faisait partie du mécanisme d'autodéfense de chaque prisonnier. La réalité s'estompait alors, et il pouvait concentrer tous ses efforts sur une seule chose ; sauver sa peau et aider ses compagnons à sauver la leur 42. »
Réaction utile de survie donc, mais qui comporte aussi sa face noire, puisque cette réaction, nous dit V. Frankl, réduisait également la vie intérieure du prisonnier à un état quasi primaire.

42 V. Frankl, Découvrir un sens à sa vie, op. cit. p. 47 »


Ceci pour moi fait écho à cette partie de mon travail de recherche :

« On se souvient qu’Aurélie avait parlé à ses parents, à 8 ans, des violences sexuelles qu’elle subissait de son demi-frère régulièrement, durant leurs absences. Ce demi-frère a été corrigé à coups de ceinturon par leur père, la mère restant sans réactions. L’affaire a été close ainsi par les parents. Cet incesteur, quant à lui, a continué ses agressions jusqu’à son départ de la maison.

Bien plus tard, en 2002, suite à son début de psychothérapie, Aurélie recontacte sa mère par téléphone. Elle apprend alors que sa mère avait été incestée par un oncle paternel, mais

« Aurélie-[citant sa mère parlant d’elle : ] « Et puis elle est pas forte, parce que moi aussi je sais ce que c’est : j’ai subi ça trois fois [inaudible] », puis elle avait été plus forte que moi parce qu’elle elle était arrivée à garder …
M-Ah ouais ! [ton surpris]
A-Ah ouais, et que moi, j’étais faible »

Faible pour n’avoir pas gardé le secret, la force étant ici de savoir se taire ! Quelle règle !

Stéphane La Branche explique que « Les règles apprises dans des situations bien précises [par exemple d’abus incestueux] et névrosées en viennent à se généraliser et à se pérenniser. (…) Les règles internalisées deviennent la façon unique de vivre, de ressentir, de percevoir et de se comporter avec les autres. Ceci permet aux relations de pouvoir [ici, à l’inceste] de se propager. » (Stéphane La Branche, 2003, p. 32).

Voici la suite de la mise au jour de cette propagation : en 2002 également, un soir, Aurélie regarde une émission à la télé en compagnie de son petit frère. C’est une émission de Delarue sur l’inceste. A la fin, elle lui explique que ça lui est arrivé à elle aussi, ce qui est montré à la télé, et demande à ce frère de ne pas le répéter. Il lui répond alors que lui aussi a été abusé par ce demi-frère :

« Aurélie-M’enfin lui il dit « voilà, moi, j’ai subi des choses, mais quelque part, j’ai pas été trop maltraité, hein. Il me dit, voilà, j’ai fait ma vie »

Et toujours avec Stéphane La Branche, je remarque ici que « La dénégation se manifeste dans le silence que la victime s’applique à elle-même, ce qu’elle s’empêche de penser. Elle nie la colère, la peur et même les événements et leur importance. (…) [Mais] lorsque l’enfant nie pour lui-même ce qui s’est passé au sein de la famille, il commence à internaliser les règles de la dynamique familiale induites par l’abus, et à les accepter comme étant les siennes » (Stéphane La Branche, 2003, p. 29).
Aurélie a moins bien réussi dans cette entreprise, c’est probablement pour cela qu’elle passe pour la « faible », la « fragile psychologiquement », la « malade » de la famille, notamment auprès de sa petite sœur.

Lasse de ce statut, justement, elle lui explique lors d’une conversation téléphonique les incestes qu’elle a subis de leur demi-frère. C’est à la suite de cette conversation que la petite sœur retrouve ses souvenirs d’abus à elle …

Enfin, en 2006, après une séance de psychogénéalogie, Aurélie ressent une colère contre elle-même et contre sa mère qui la conduit à l’envoi d’une lettre à cette mère, au demi-frère agresseur, et à sa grande sœur, avec copie pour information à son petit frère et à sa petite soeur.
C’est alors que la grande sœur confie à leur petit frère avoir été elle aussi abusée…en lui demandant également le secret. Secret dont aura vent Aurélie à l’occasion d’une conversation avec ce dernier, car, me précise-t-elle, quand il a bu, il devient plus facilement bavard.

Elle comprend donc là que son demi-frère a abusé de toute la fratrie. Cela la pousse à téléphoner à une des filles de ce demi-frère, qui a deux filles et un garçon, tous majeurs. Sur le coup, cette dernière ne lui répond rien. Mais le soir, elle craque, et va confier au petit frère d’Aurélie que son père, le demi-frère d’Aurélie, l’a abusée elle aussi.

On se souvient alors qu’Aurélie avait pensé à porter plainte, autour de ses 21 ans. Mais qu’elle se disait à cette époque qu’il fallait plus soigner son jeune incesteur que le punir (ni l’un ni l’autre n’a de toute façon pu être tenté). Aujourd’hui, elle regrette ne pas avoir porté plainte alors, quand elle voit le nombre de personnes qu’il a abusé cependant qu’elle pensait être sa seule victime : son opinion est que seule la police peut arrêter cela, sinon, affirme-t-elle, cela va continuer sur des générations.
La nièce d’Aurélie ne voulant pas porter plainte contre son incesteur, ce dernier est toujours dans l’impunité. Aurélie étant de toute façon hors délais pour porter plainte elle-même, conclut, crûment :

« Aurélie-Alors faut attendre la chair fraîche. »

Quant à sa situation vis à vis de sa mère, suite à cette dénonciation de son incesteur dans sa famille, elle transparaît dans les attitudes de cette dernière alors qu’elles sont au chevet de la petite sœur, atteinte d’une maladie dont elle mourra peu après :

« Aurélie-Elle a fait comme si j’étais une étrangère. (…) J’étais dans la chambre d’hôpital, j’aurais été la voisine de ma sœur c’aurait [inaudible]. Je faisais plus partie de la famille. »

C’est ainsi que lorsque la victime « persiste dans sa révélation et sa dénonciation, [elle sera alors], et avec elle ceux qui la soutiennent, (…) vraisemblablement sacrifiée ou rejetée, implicitement ou non : on oubliera de lui rendre les clefs de la maison de campagne, on ne la conviera plus aux réunions familiales, à moins qu’on refuse définitivement de la revoir. » (Dorothée Dussy et Léonore Le Caisne, 2007, p. 30).

L’histoire de Lydia pourrait presque être la suite de celle-ci, à la différence qu’Aurélie a fait au mieux pour dénoncer son demi-frère, et que Lydia a porté plainte contre son père 

« Lydia-je vais revenir quelques années avant, heu, quand rien ne se savait, je devais avoir 21, 22 ans, quelque chose comme ça. J’allais dans sa famille à lui, notamment chez une de ses sœurs à lui, donc une de mes tantes, et un jour je lui ai dit : « voilà ce que ton frère m’a fait », elle m’a dit textuellement « je te crois, il m’a fait la même chose quand j’étais jeune ». (…)
M-Donc elle elle a été abusée par son frère aîné ?
L-Voilà, quand ils étaient jeunes. Sauf que elle me dit écoute, je croyais que c’était normal, et elle m’a dit après j’ai rencontré mon mari et après j’ai fait ma vie.
(…) Et elle a ma mère au téléphone, et à un moment donné j’entends ma mère crier « mais pourquoi tu l’as pas dit avant, ça fait 7 ans que ma fille elle souffre ! », donc ma tante venait d’avouer à ma mère, que ben elle avait été abusée par lui quand elle était jeune (…) Moi lors de la plainte, je me suis pas démontée(…), j’ai dit ben voilà ce que ma tante m’a dit, elle l’a avoué à ma mère et à mon frère. Donc maintenant il va sans dire que je suis personne non grata là-bas, vaut mieux pas que j’aille foutre les pieds à [ville] parce que sinon
M-Y compris auprès de ta tante ?
L-Surtout auprès de ma tante ! Elle voulait pas que ça se sache, donc, voilà. (…)
M-En fait comment tu es devenue persona non grata pour elle, comment ça s’est … ?
L-Ah ben quand j’ai porté plainte contre son frère.
M-Et … enfin, elle t’as dit reviens plus me voir ? Enfin ça c’est passé comment ?
L-Ah oui oui, bien sûr, bien sûr, c’est, t’aurais pas du faire ça, euh, voilà, mes grands-parents [paternels], c’est (…) on n’est plus tes grands-parents, enfin voilà quoi »

Cette tante a quant à elle, lors du procès, nié avoir subi des abus incestueux, et a finalement contribué à financer l’avocat de l’incesteur de Lydia.

Ainsi, nous voyons se dessiner à travers ces deux cas de figure, d’une part, l’existence d’une véritable généalogie de l’inceste, connue partiellement des incesté/e/s dès lors qu’elles ont commencé à parler dans leur famille d’origine. D’autre part, le rôle clef du silence dans la continuation des violences incestueuses, dans la continuation de cette généalogie de l’inceste, et enfin, un véritable système de sanctions interne à la famille. Là où la Justice ne juge pas l’incesteur, la famille proche de l’incesteur, elle, en revanche, sanctionne l’incesté/e qui a osé parler ou porter plainte, et ce d’une des sanctions les plus sévères possibles : l’ostracisation, le bannissement. » (Perrin, 2008, pp 78-80).

Voilà peut-être à quelles situations peut mener, à l’extrême, cette « indifférence » émotionnelle, acquise.

Mais Auteure obligatoirement anonyme, puisque ton extrait évoque les camps, puis-je me permettre d’en rajouter une couche ?
Je ne l’ai ni exploré, ni formulé en ces termes, parce que pour d’obscures raisons je n’ai jamais réussi à mettre la main, jusqu’à présent, sur le bouquin qui en parle. Pourtant, comment ne pas penser à la « zone grise » explicitée par les écrits de Primo Levi pour les camps, lorsque l’on lit le récit qui suit (concernant la grande sœur d’Aurélie, en bas) ?

« Ainsi, c’est incidemment que Paulette m’apprend cette autre agression, clairement incestueuse, par son cousin : après avoir évoqué l’histoire, douloureuse, de sa fille durant quasiment la face A entière de la première cassette, puis les viols qu’elle-même a subis dans sa famille d’accueil. Et c’est de me raconter cette discussion avec sa mère qui la conduit, presque sans le faire exprès on dirait, dans le fil du récit, à évoquer l’abus par ce cousin.

Mais alors surgit un autre problème : celui de l’âge, de l’écart générationnel.

« M-Oui oui. Et … il était, il avait quel âge par rapport à toi ?
P-Il avait 8 ans de plus que moi. Donc si tu veux, c’est pas des gens de la même génération.
M-De la même génération ?
P-C’est pas, c’est pas, c’est pas des gens qui ont, qui avaient le même âge que, c’est pas, ils n’avaient pas le même âge que moi [le fils aîné de la famille d’accueil, ainsi que le cousin]
M-Oui oui oui oui.
P-Y’avait une différence d’âge. »

Qui vient comme en écho à cette citation : « Il s’agit ici de frères nettement plus âgés que l’enfant abusé. Dans les cas d’inceste frère-sœur, le frère est le plus souvent pubère, alors que sa sœur est encore une enfant. Les jeux sexuels entre enfants du même âge font partie d’un domaine très différent, celui de la découverte de l’identité sexuée, et n’ont de ce fait rien de pathologique » (Gruyer – Nisse – Sabourin, 2004, p. 105, note n°19).

Mais alors, répond Agnès, que je connaissais auparavant uniquement comme incestée par son père :

« Agnès-Et puis dans cette atmosphère-là, ben, j’ai … le premier frère, donc, de cette nouvelle fratrie, qui à l’âge de 4 ans, donc, c’est suite à la découverte et à la réouverture des mémoires, que ce grand frère, (…) donc euh, m’a violée, et j’ai gardé cette blessure physique au fond de moi toutes ces années, sans savoir … Mais je pense que ça a été quand même … terrorisant et violent au point que j’ai pu en perdre connaissance et en perdre la mémoire. C’était vraiment à ce moment-là je pense, que ça a été enfoui. Mais à partir de là, j’étais dans une, je me souviens d’être dans une terreur totale, pour tout (…)
M-Ce frère il a combien d’années de plus que toi ?
A-Il est décédé aujourd’hui.
M-Il est décédé ?
A-Ouais, ouais il est décédé à cinquante euh …
M-Hmm, il est mort jeune !
A-A cinquante, non cinquante deux. Cinquante deux. Dans des conditions dramatiques. Donc, combien d’écart on avait, euh, 6 ans.
M-Hmmhmm
A-Donc il avait heu … une dizaine, dix onze ans quand ça c’est arrivé, ça, cet événement, en fait
M-Quand il t’as violée en fait ?
A-Ouais quand il m’a violée. C’est vrai que c’est un mot que j’ai encore du mal à employer et je sens que l’émotion est forte.
M-Ouais, ouais.
A-[inaudible] Et heu … Donc c’était un gamin quoi si tu veux, il savait pas ».

Aurélie enchaîne à son tour :

« Aurélie-Enfin bon moi ce qui a fait que … Moi c’était mon frère. [inaudible]. Donc on avait euh, 5 ans, 5ans … il avait 5 ans de plus que moi
Moi-Ouais
A-Et j’étais, j’étais jeune, mais lui aussi
M-Hmhm
A-J’avais 5 ans donc lui euh, il avait 9 ans »

Puis elle apprend que sa grande sœur a aussi été incestée par ce demi-frère aîné :

« A-Puisqu’elle s’est confiée à mon petit frère, en pleurant, en disant ce qu’elle avait subi, [inaudible]. Elle a subi des choses, et elle a fait subir.
M-Elle a subi de …
A-Moui. Alors est-ce qu’elle a subi …
M-… du grand frère ?
A-… consentante ou pas, ça !
M-Euuuuh … elle a subi enfant ?
A-Ben elle avait deux ans de moins que lui alors …
M-La question elle se pose pas
A-Ouais mais je pense que y’a eu des choses où elle était consentante, donc à mon avis un peu [inaudible]. C’est pour ça qu’elle dit rien, qu’elle euh, elle fait comme si de rien
M-Tu veux dire que il lui a pas imposé de choses par la violence quoi ?
(Silence, pas de réponse, quant à moi je passe à un résumé reformulation oral de tout ce que j’ai retenu … et nous reprenons sur autre chose) »

Ainsi, les violences sexuelles par un germain pré-pubère, rarissimes selon des psychologues, sont relatées par deux incestées sur mes cinq entretiens. Si l’on ajoute les abus sur d’autres membres de la famille, c’est l’absence d’abus par un garçon de la même génération, souvent un germain, pubère ou non, qui devient l’exception dans mon corpus.
Et, même quand la différence d’âge est faible, il s’agit bien d’abus, et non d’expériences de découverte mutuelle par « touche pipi », selon l’expression consacrée : lorsque Aurélie s’interroge sur le consentement de sa grande sœur, aussi bien que lorsqu’elle évoque, plus loin, le « jeu du gynécologue », consentement et « jeu » se situent dans le cadre d’un rapport de domination puisque, consentante ou non, l’on « subit », c’est le mot qu’elle emploie.

Il faut de plus préciser qu’Aurélie, juste avant, m’expliquait que cette grande sœur, tout en ayant été incestée par ce demi-frère, a également été sa complice pour l’agression des cadet/te/s, en étant infirmière dans ce « jeu du gynécologue », où lui était le gynécologue, ce qui induit que la question du consentement de cette sœur peut aussi être mise en relation avec la question suivante : le statut de complice est-il compatible avec celui de victime ? » (Perrin, 2008, pp 66-68).

Vaste question que je n’ai fait que poser … et qui prend sens lorsque j’entends une ancienne victime d’inceste me dire « mais elle, pour moi, c’est avant tout une victime, quand même, donc si elle s’excusait je pourrais lui pardonner, parce qu’elle reste une victime, pour moi ».



Pendant ce temps-là, sur une étagère, chez moi, j’aperçois ce vieux livre-calendrier de 1991, rédigé en Allemand.
Sur la couverture, il est juste marqué quelque chose qui est une citation d’Albert Camus :
« Weder Opfer noch Henker ».
C’est à peu près cela.

A l’époque, en 1991, j’avais pris mon dictionnaire, qui était juste à côté, et j’avais traduit :

« Weder … noch » : « ni … ni ».
« Opfer » : « victime »
« Henker » : « bourreau ».
« Ni victime ni bourreau ».
Dans cette phrase, il y avait pour moi l’idée qu’autre chose était possible que ce monde-là, d’une part, et d’autre part, l’idée que l’un n’allait pas sans l’autre. Que c’était ou bien « ni victime ni bourreau », ou bien « la victime et pas loin, le bourreau », comme un système relationnel qu’il fallait mettre en cause en entier.
Je n’ai jamais su de quel ouvrage d’Albert Camus était tirée cette citation.
Qu’importe.

Toujours est-il qu’elle était là, sur ce livre-calendrier, allemand, qui s’intitulait : « grasswurzelrevoluzion » (littéralement : « révolution par la racine des herbes » - grass = herbe, wurzel = racine, revoluzion, bon, ça se lit direct hein. Et le tout en un seul mot car en allemand on colle tout, ce qui fait un nouveau mot qui fait bien peur aux étranger.e.s car ils.elles croient que c’est hypercompliqué alors que c’est juste écrit « grass-wurzel-revoluzion » sans nos tirets habituels. Voilà).

Et donc, toujours est-il qu’à cette époque-là, j’ai compris en lisant cette citation en Allemand, qu’il y avait comme un changement de monde entre celui où il y a « victime et bourreau », et celui où il n’y a ni l’un ni l’autre.
L’idée m’effleura également qu’ils étaient tellement proches, victimes et bourreaux, que à force, l’un pouvait devenir l’autre, comme dans un cycle absolument infernal dont on ne sortirait jamais … à moins de sortir de ce monde-là dans son entier, pour entrer dans un autre système relationnel.

…bien sûr, les exemples pris jusque là dans le présent courriel, vont dans le sens du « on n’en sort jamais », c’est fait pour.


Mais s’il existe des victimes qui deviennent complices (voire plus ?), loin de la théorie dite « de la reproduction des abus à la génération suivante », il me faut souligner qu’il semble exister une pluralité de chemins.
En voici un autre, radicalement opposé aux précédents :

« La généalogie de l’inceste est d’ailleurs particulièrement impressionnante ici, Mr Tromosh ayant abusé au moins dix enfants dans la famille. Pour autant, elle montre aussi que le terme « généalogie de l’inceste » est peut-être trop restrictif : dans la famille de Danielle, il n’y a semble-t-il pas eu d’incestes auparavant. En revanche, il y a eu de la violence intrafamiliale et au moins un abus sexuel non entendu.
Violence du grand-père sur la grand-mère maternelle de Danielle, ainsi que sur leurs trois enfants (dont la mère de Danielle). En plus des coups, Danielle me cite la répartition de l’espace dans ce foyer : son grand-père s’était réservé pour lui seul une des deux pièces de 15m2 de l’appartement, qu’il fermait à double tour. Après la naissance de leur dernier enfant, son épouse a dormi sur un matelas dans la salle à manger, cependant que leurs trois enfants se partageaient la pièce restante, minuscule (« 3m2 », m’explique Danielle).
Abus sexuel non entendu, enfin, celui de cette même grand-mère, enfant, par un garçon de ferme : elle n’a pas été crue par sa mère quand elle a tenté d’en parler. C’est d’ailleurs cette expérience qui l’aide à croire Danielle d’emblée. Et c’est précisément lorsque Danielle lui confie ce que lui faisait Mr Tromosh, que cette grand-mère lui apprend ce qu’elle avait subi elle aussi jadis. » (Perrin, 2008, p 81).

Et c’est l’action de cette grand-mère, paniquée d’apprendre qu’elle a une sorte de Dutroux dans la famille (il est « pédophile », c’est en 1996 que Danielle lui en parle …), qui permettra de mettre au jour l’ensemble des abus commis.
En effet, sa réaction, très appropriée, est de téléphoner immédiatement à tous les membres de cette famille pour les informer qu’il est pédophile. Surprise : lorsque ces derniers questionnent leurs enfants, qui sont les petit.e.s enfants de Mr Tromosh, tou.te.s ont été abusé.e.s par lui …

Alors, « victime de trauma » (pour reprendre cette formulation), cela est un point de départ qui débouche sur combien de chemins possibles ?

Je termine, ce soir, par cette question.
Non.
Je ne termine pas.

Je veux ajouter que la question de l’indifférence acquise me parle.
C’est un piège redoutable, qui vous rend insensible à ce que l’on vous fait et, partant, le normalise, le rend normal s’il est commis devant vous sur d’autres aussi.
Devoir se blinder d’indifférence, c’est potentiellement s’engager sur le chemin de la tante de Lydia ou de la grande sœur d’Aurélie.
Enfin, du moins, pour ce que j’en connais par mon expérience personnelle cette fois.

Denise, est-ce que cela te parle, l’indifférence, et si oui, comment tu la situerais vis-à-vis de ce que toi tu apportais l’autre jour (sur la sensibilité accrue à la souffrance d’autrui, c'est-à-dire l’inverse de cette indifférence) ?

Cette fois, j’ai fini pour ce soir.

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