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Bonne lecture à vous, espérant qu'elle vous sera plaisante.

lundi 12 janvier 2015

Suite au massacre des 7 - 8 janvier 2015 : "Oussama et Osama, partie 2"



Ce courriel/billet est la suite du billet évoquant l'action et les motivations d'Oussama Ben Laden et de ses partisans, telles qu'ils les voient eux, ainsi que la généalogie de leur terrorisme, qui remonte jusqu'à la CIA. Parce que c'est important de comprendre ce qui se passe, lorsque cela nous tombe sur la gueule, un matin d'hiver à Paris. Et parce que c'est important aussi de dénoncer ce qui se passe.


Ce courriel, daté du 12 juillet 2011, fait partie, selon l'université Lyon 2, aussi étrange que cela puisse paraître, de mon "harcèlement" envers ses membres, constitutif "d'injures, de menaces", prouvant ma violence, ma virulence, ma volonté de harcèlement (moral ou immoral, on ne sait...) envers l’université Lyon 2 et/ou ses membres, etc, par l’envoi « de centaines de messages électroniques à une liste mail constituée de centaines de destinataires ». Il n'a pas été cité comme pièce à charge dans le dossier de 200 pages de ces insupportables courriels qu’il faut à tout prix faire cesser, monté par le service juridique de Lyon 2, mais il leur ressemble, comme c'est possible de le voir en consultant ceux cités explicitement à charge au nom de l'université, ici.

Il contient tout d'abord l'encadré introductif de la conclusion de mon mémoire de master 2 recherche en anthropologie, où est évoqué, après plusieurs autres points importants, le film "Osama", premier filme tourné en Afghanistan après la fin de la dictature des talebans.
Puis il revient sur le film, avec des propos de son réalisateur, et sur le prénom "Osama", qui nous réserve des surprises.

Enfin, nous revenons eu Europe pour évoquer l'histoire ordinaire et effroyable de "l'enfant héroïque", qui n'est pas afghane, mais bien française.

Sophie Perrin, brillante étudiante en anthropologie transformée en racaille par un dossier pénal calomnieux monté au nom de l'université Lyon 2.
Conclusion

Une semi-obscurité recouvre la table, que l’on devine ovale, de confection robuste. Capable de supporter les objets les plus variés, de résister aux échauffements des esprits … Autour de la table, mais on distingue mal, des sièges. De couleurs et marques diverses, hétéroclites. Aussi hétéroclites, sans doute, que leurs occupant/e/s.
L’éclairage évoluant, on commence à pouvoir lire les noms de quelques un/e/s d’entre eux/elles : Jean-Pierre Rosencveig, juge pour enfants et président de tribunal, Lydia, violée des années durant par son géniteur, Christine Delphy, sociologue et féministe, Didier Fassin et Richard Rechtman, qui viennent du monde universitaire et médical parisien, Eva Thomas, psychopédagogue qui a rencontré la petite Aline (juste à côté, sur la petite chaise), et a également été violée par son père. Christine, pédopsychologue en CMP, Agnès, « tripotée » par son père et violée par l’un de ses frères, Irène, pédopsychiatre libérale, François Laplantine, anthropologue, Pierre Bourdieu, ethnologue puis sociologue, Fabrice et Francis, employés au service enfance d’une maison du Rhône, Florence Rush, assistante sociale qui a été parler aux féministes américaines, Danielle, abusée par Monsieur Tromosh, Paulette, qui aurait préféré retourner en ville sous les bombes, durant la guerre, que rester auprès de son premier abuseur, Gérard Neyrand, sociologue révolté par « l’aliénation parentale », Laurence Gavarini, sociologue, Aurélie, « tripotée » par le demi-frère durant des années, Gérard Noiriel, historien, Francine, enseignante en lettres-histoire dans un lycée professionnel, David Bisson, assisté d’Evangéline de Schonen pour nous raconter sa sinistre enfance, Micheline, assistante sociale en lycée professionnel, Georges Devereux, anthropologue, Hélène et Françoise, assistantes sociales de secteur en maison du Rhône, Claude Couderc et Anne Poiret, journalistes, Patricia, bénévole associative, Delphine Serre, sociologue, Cécile, conseillère conjugale en planning familial, Marcelo Vinar, psychanalyste et rescapé de la torture, Georges Vigarello, historien, Laurence, assistante sociale en planning familial … 


La liste est encore longue des intervenant/e/s. D’ailleurs, tou/te/s n’ont pas encore parlé.
Sur la table, divers objets, posés au fil des débats par différentes personnes, pour appuyer leur propos.
Au fil de la lumière croissante, ils se regardent, se découvrent les un/e/s les autres avec surprise. Certain/e/s ne s’attendaient pas du tout à se trouver attablé/e/s ainsi avec des personnes que, jamais, jamais, ils/elles n’auraient rencontrées ailleurs ! Qui plus est pour débattre autour de la même table ! « C’est une farce ? », s’exclame même quelqu’un.
Mais, encore sous le coup des débats et de leur tournure inattendue, la plupart sont silencieux/euses. Moi-même, qui tiens la plume qui écris ces lignes, je reste sous le coup. J’accuse le choc, qui s’est fait à mesure. Je ne sais pas si mon amertume, comme un nœud à l’estomac, une nausée, est partagée et par qui. Certain/e/s ont l’air un peu blêmes, d’autres plutôt rouges … mais qu’expriment ces colorations ?
La table, qui nous réunit et nous sépare tou/te/s, elle, a tenu bon. Elle est toutefois marquée de traces : ici, on devine un coup rageur (« taper du poing sur la table »), là, une pile de livres apportés par un sociologue, ici, d’autres livres, apportés par des incestées, sans oublier le magnétophone et ses récits, et puis les présentoirs sur lesquels sont écrits les noms et titres des différent/e/s intervenant/e/s.
L’une d’eux/elles demande alors à parler : il s’agit de Pascale Molinier, qui veut nous expliquer les problèmes rencontrés, autour d’une autre table, alors qu’elle réfléchissait, avec les membres de son équipe de recherche, autour du travail domestique.
« Travaillant les questions théoriques et cliniques soulevées par la condition de bonne à tout faire, plus largement le travail domestique, dans le cadre d’un séminaire restreint aux membres de l’équipe de psychodynamique et prsychopathologie du travail, nous avons fait la découverte désagréable mais instructive de nos propres résistances et censures. Nous nous sommes rendus compte que nous étions tous concernés par ce que Dominique Memmi appelle la « domination rapprochée » ; une domination qui ne se joue pas entre classes ou dans l’espace public, mais dans la maison, dans l’intimité, et qui redéfinit donc la topologie du politique clivé en privé/public (…) La « domination rapprochée » ne peut être appréhendée avec les outils conceptuels et méthodologiques classiques pour traiter des rapports sociaux.


Il est apparu que nous adoptions des points de vue très différents non seulement en fonction de notre sexe (homme ou femme) et de notre position de genre plus ou moins conformiste vis à vis du service domestique, mais aussi en fonction de nos origines sociales, c’est à dire de la classe d’appartenance de nos parents. Fils et filles de maîtres ou fils et filles de serviteurs (ou assimilés), nous ne réfléchissions pas tous et toutes à partir du même point de vue, et cela générait, autour de la table, beaucoup d’irritation et de ressentiment. Bref, les chercheurs aussi sont situés. (…) L’épistémologie du point de vue ou des savoirs situés a mis en évidence que les sciences sociales ont été construites à partir du point de vue « homme, blanc, bourgeois, du Nord occidental » et que ce point de vue étant le seul considéré comme objectif, les points de vue minoritaires étaient considérés comme « subjectifs » ou « particuliers » et finalement rejetés comme non scientifiques. (…) Aujourd’hui, plus clairement qu’hier, nous savons que traiter de l’être humain en situation, c’est aussi rendre visible et interrogeable la situation de qui produit des connaissances sur qui. Ainsi que le soulignent Danielle Chabaud-Rychter et Delphine Gardey, « c’est le point de vue adopté qui permet de faire science (...). L’idée est bien que si le regard est multiple, si on opère une ‘’diffraction’’, le monde qui se dessine est alors différent : il y a un déplacement conjoint des objets de l’investigation, de ce qui est regardé et de la façon de produire de la connaissance ».
(…) Ce qui manque aux catégories dominées, quelles qu’elles soient, c’est la possibilité de se reconnaître dans les façons dont les discours savants les représentent. Ce qui pose problème est d’y être représenté seulement comme un objet dont on parle, un objet fascinant et pourtant inférieur, et jamais comme un sujet qui parle et théorise en son nom propre à partir de son expérience propre.  » (Pascale Molinier, 2006, p. 45-46). 


C’est alors que, d’un coin resté dans l’ombre, on entend le bruit d’une personne qui se lève de sa chaise. Sur l’écriteau, que vient alors frapper la lumière, on peut lire : « Osama ». Et rien d’autre. Osama est une fille de 9 ou 10 ans, vêtue d’une très jolie robe manifestement orientale. Une robe de noces. A mesure qu’elle s’avance, je me sens d’un coup honteuse : comment ? J’ai passé 200 pages à me pencher sur ces histoires d’inceste en Occident, pendant qu’elle, voyait sa vie sauve au prix de son mariage à 9 ans avec un riche taleban[1] ?
Autour de la table, tout le monde, en se regardant, constate d’un coup que, hormis Osama, il y a là uniquement des européen/ne/s et américain/e/s blanc/he/s.
Osama arrive vers moi, qui étais chargée de donner la parole aux différent/e/s intervenant/e/s tour à tour, tout en tirant les conclusions qui me semblaient adéquates. Sans un mot, elle me tend le stylo qu’elle tient à la main : une belle plume. Et me fait signe d’écrire le débat qui vient d’avoir lieu.
« Mais, et toi ? Et ton histoire à toi ? Qui l’écrira ? Tu ne sais pas écrire ? ». Je lui tends la plume qu’elle vient de me donner.



Elle me répond alors, dans un arabe parfait, tout droit sorti de l’école coranique où elle a été, alors qu’elle était travestie en garçon : « J’ai appris à écrire à l’école coranique, mais ils/elles ne comprendraient pas ma langue, ici. C’est un alphabet plus ancien que le leur, mais ils/elles ont oublié. Il faut traduire d’abord. Et ton histoire traduit la mienne. Si tu écris la mienne, ils/elles vont encore croire que ça ne les concerne pas, qu’il faut juste nous civiliser nous pour que la barbarie s’arrête. Ton histoire d’occidentales dit que la barbarie peut exister au cœur de leur civilisation aussi. Alors écris l’histoire de ces enfants blanc/he/s de France pour qu’un jour, je puisse moi écrire la mienne ».
Sur ces mots, Osama retourne dans l’ombre, me laissant la plume. J’ai juste le temps de lui demander : « et toi, que vas-tu devenir alors ? Tu vas rester séquestrée dans ce château où tu es à la fin du film, toute ta vie ? », quand j’entends le bruit de la porte, lourde, qui se referme sur le silence, dans le coin d’ombre. 
L’homme-propriétaire  a aussi emporté l’écriteau où il y avait écrit « Osama ».
Le stylo qu’Osama m’a laissé écrit d’une belle encre, de belles lettres : un stylo de calligraphe. L’homme-propriétaire  n’a pu l’emporter dans l’ombre et le silence.
Il me reste alors à être à la hauteur de la, lourde, tâche de scribe qui m’est ainsi confiée, et à conclure.

(Sophie Perrin, 2010, pp 192 – 194, encadré introductif à la conclusion du mémoire mis aux oubliettes de l’Histoire par l’institution universitaire avec le concours de chacun.e de ses membres-rouages, mais néanmoins disponible ici : http://sophia.perrin.free.fr/entree.htm ).

Cette mère a tué 25 talebans, durant l'été 2014, le jour
où son fils, qui gardait un check point, a été tué par eux


La voix off – Je vous répète la note de bas de page contenue dans le mémoire de Sophie, mais en plus gros caractères pour que vous puissiez tou.te.s bien la lire :

« Osama, réalisateur Sedigh Barmak, Afghanistan, 2003, durée 1h23, distributeur : haut et court, raconte l’histoire d’Osama, déguisée en garçon car sa mère doit être accompagnée d’un homme pour pouvoir sortir dans la rue et aller faire ses courses, travailler, etc. Découverte, elle est condamnée à mort par le tribunal taleban, mais celui qui l’a dénoncée rachète sa vie en la prenant comme épouse. Il l’emmène alors rejoindre ses autres épouses dans sa maison, à la campagne, fermée et isolée du reste du monde. Le film est resté peu de temps à l’affiche, en France. »
Unité nationale suite au massacre du comité de rédaction de Charlie Hebdo ?

Moi – Qui est Sedigh Barmak ?

La voix off –  Ici : http://www.asso-chc.net/article.php3?id_article=364, on peut lire que

« Après des années d'exil Siddiq Barmak est revenu en Afghanistan. Par ce film il a voulu décrire le sort réservé aux femmes par ces " fous de Dieu ".
Le visage d'Osama nous dit avec une intensité extrême , la peur, la panique qu'elle ressent à chaque nouvelle épreuve. Son air traqué, son mutisme sonnent vrai car elle a vécu cette violence. »

Moi – Osama dans le film, et l’actrice qui la jouent … Je ne comprends pas.

La voix off – On nous dit que Marina, la petite qui joue le rôle d’Osama dans le film, n’avait pas besoin de « jouer » son rôle, car elle avait elle-même vécu, dans la réalité, cette violence. Marina, l’actrice, était afghane. Le réalisateur l’a trouvée « mendiant dans une rue de Kaboul. " J'ai été fasciné " dit-il " par son regard. A travers ses yeux on lisait la tragédie, la mélancolie et une immense tristesse. », lit-on sur le même site internet (lecteur, lectrice, tu devrais cliquer sur le lien pour tout lire, ce n’est pas long, et c’est édifiant à http://www.asso-chc.net/article.php3?id_article=364).

Moi – Il faut ajouter qu’apparemment, ce film a été le premier film afghan à être tourné, juste après la chute des talebans.

Femmes kurdes combattant contre Daesh avec
le matériel qu'elles peuvent (pas fourni par la Turquie, pour sûr...)


La voix off – Oui. Et il est joli, ce film, qui nous montre la résistance des afghan.e.s à la dictature talebane. Les cerfs-volants qui ne volent plus sur Kaboul, la musique qui ne joue plus …

Moi – Les cerfs volants qui volent quand même, en cachette, la musique qu’on joue quand même, en cachette …

La panthère des neiges : « Avec moi qui guette à la fenêtre, et avertis tout le monde de tout cesser, lorsque je vois un taleban passer ».

Albert Camus  – Sedigh, bonjour.

Sedigh – Bonjour.

Albert Camus – Je me présente. Je suis Albert Camus, journaliste à « Combat », et intéressé à tout ce qui a trait à des formes de résistance. Je souhaite faire un reportage sur votre film pour mon journal. Puis-je vous poser quelques questions ?

Sedigh – Volontiers.

Albert – Votre fiction, elle raconte du réel, n’est-ce pas ?
La voix off – Petite note : les propos de Sedigh sont principalement issus, ici, de cette source : http://www.universcine.com/articles/siddiq-barmak-osama-un-prenom-qui-charrie-la-terreur
Sedigh – Eh bien, en fait, L'idée d'Osama m’est en effet venue d'une histoire vraie : celle d'une petite fille qui s'était déguisée en garçon, sous le régime des talibans, pour pouvoir aller à l'école... J’ai lu cette histoire dans un journal après avoir fui mon pays, l’Afghanistan, tombé sous la coupe des talibans. Au départ, je voulais en faire un court-métrage : le destin d’une toute jeune fille qui se transforme en garçon pour pouvoir travailler et nourrir les femmes de sa famille. Et puis, au fur et à mesure, je récoltais des histoires qui venaient enrichir ce qui est devenu mon premier long-métrage. Celles que me racontaient les réfugiés qui arrivaient, comme moi, au Pakistan, celles qui peuplaient les lettres de mes amis restés au pays.



Ainsi, la scène du hammam où un mollah enseigne aux petits garçons le rituel des ablutions me vient d’un proche qui travaillait à la radio, contrôlée à l’époque par les talibans. Il me disait que chaque jour, pendant trois heures, ils arrêtaient tous de travailler pour qu’un taliban leur montre comment se laver le sexe en cas de pensée impure !


Albert – Le titre de votre film, « Osama » : cela ressemble tant à « Oussama » ?

Sedigh – C’est le même prénom, en effet. Il est issu du substantif usâma, le lion.
Ce fut le prénom du fils de Zaïd, l'esclave affranchi de Mahomet pour lequel le Prophète avait une profonde amitié. La tradition affirme qu'il considérait Oussama comme son propre fils. Oussama est un prénom apprécié dans les pays arabes et, en France, on le rencontre très fréquemment dans les familles d'origine maghrébine. La triste notoriété d'Oussama Ben Laden change la donne … Dans mon film, « Osama », c’est le prénom qui est donné à la petite fille pour tenter d’impressionner les autres enfants qui doutent de sa virilité. Derrière la peur, qui est au cœur du film, il y a toujours eu Oussama Ben Laden. C’est un prénom qui charrie la terreur et qui cristallise les souffrances des Afghans. Les autres personnages n’ont pas de nom parce qu’ils n’ont pas d’identité. Ils l’ont perdue sous le régime des talibans.


En arrière plan, en 2015, on est par là...

Albert – Si je me souviens bien, la grand-mère d’Osama dit aussi que c’est un prénom mixte, un prénom que peuvent porter les filles aussi bien que les garçons ?

Sedigh – Oui. Mais il faudrait que vous regardiez de nouveau le film, pour plus de précision. Il n’est plus disponible en salle, mais il est sorti en DVD, vous savez.

Albert – Lorsque vous êtes rentré en Afghanistan, c’était comment ?
Sedigh - Les gens avaient perdu tout espoir. Ils n’avaient plus foi en rien, et j’avais parfois l’impression qu’ils pensaient que mourir était une façon de vivre.
Devant tout cela, je ne pouvais m’empêcher de penser : « Quelle honte pour l’humanité toute entière de ne pas avoir pris conscience plus tôt de cette souffrance ! »


Albert – Votre film n’a pas été un franc succès, en France. Il est resté, il me semble, très peu de temps à l’affiche ?

Sedigh – En effet. Peut-être montrer le désespoir laisse-t-il trop peu d’espoir. Pourtant, c’est là la réalité.

La voix off – Le film se termine sur la scène d’Osama, dans le château, réfugiée dans le puit pour se mettre hors d’atteinte de l’homme-propriétaire, lors de sa nuit de noce.

La panthère des neiges : « C’était le puit de la cour de récréation de l’école coranique, qui avait coûté à Osama sa place parmi les garçons : elle y avait été enfermée en guise de punition par le mollah ».

Sedigh - Elle a eu tellement peur, dans le puit de la cour de récréation, qu’elle en a eu ses premières règles. C’est ainsi que le mollah, lorsqu’il la re-sort du puit, comprend qu’il a été dupé, et qu’il s’agit là d’une fille travestie en garçon.

La panthère des neiges : « Enfermée dans le château, pour échapper à l’homme-propriétaire, c’est elle-même qui se réfugie dans le puit du lieu. Une peur plus effroyable en a alors chassé une autre »

Moi – Mais cela, la France ne veut l’entendre. Le film n’est passé sur les écrans qu’en un coup éclair. La France n’a pas voulu voir Osama. Sa vie était trop dure à entendre.

Nalin Afrin, chef de guerre contre Daesh à Kobane, Kurdistan


La panthère des neiges : « La France est dure d’oreille. Pendant que nous discutons, j’entends qu’on cause de lutte des classes, à ma gauche, et de sécurité, à ma droite. Osama n’existe pas ».

Moi – La France est dure d’oreille. Pendant que nous discutons, j’entends qu’on cause de niquer les méchants decks, à ma gauche, chantonnant « hécatombe » et « les enfants d’Cayenne », et qu’on parle de « zone anti-racaille », à ma droite.
Mais qui, au milieu de tout cela, lira ma conclusion avec attention ?

En France, en arrière-plan, en 2015, on en est là...


La voix off – En France aussi, Osama existe. Différemment, mais elle existe.
En France, l’homme-propriétaire, c’est le père, c’est le frère, c’est l’oncle, dans l’impunité que permet le silence et l’aveuglement social.

Moi – Oui. Mais en France, on est quand même plus libres qu’en Afghanistan sous les talebans.

La voix off – N’est-ce pas toi qui écrivais ta compréhension trop intime du vécu des femmes afghanes par l’enfance invisiblement séquestrée que tu as eue, sans issue ni espoir durant les 18 ans de ta minorité ?

Moi – Oui. La nuance, c’est l’espace public. En Afghanistan, c’était dans l’espace public, que les talebans régnaient par leur pouvoir sans limites. Ici, c’est dans l’espace privé, que s’exerce le pouvoir sans limite que personne ne nomme.

Charlie Hebdo, un dessin parmi d'autres...

La voix off – Lecteur, lectrice, nous voici arrivé.e.s au bout du présent récit : à sa conclusion. Nous vous la livrons en intégralité dans le prochain mail.
En attendant :

*** RIDEAU ***
 
L’enfant héroïque, s’opposant physiquement à la fermeture du rideau – Non. Pas encore. Avant la conclusion entière, rappelons l’histoire ordinaire d’un enfant en France, qui fut la mienne.

La voix off – La revoilà donc. Tu as le même âge qu’Osama dans le film…
Ensuite, je ferme le rideau :

L’enfant héroïque
C’est un matin comme tous les matins.
Gris.
Il faut se lever, vivre hélas. Vivre : se lever est si lourd. Le réel, le poids du réel, le poids d’une vie. Une vie de quoi ? huit ans d’âge, peut-être, ou neuf.

L’enfant héroïque prend son courage à deux mains et, puisqu’il le faut bien, se lève.
Puisqu’il le faut bien, va jusqu’à la cuisine et fait ses tartines. Mais Dieu, que les tartines sont lourdes à faire ! Le moindre effort est un poids incommensurable. Si encore les tartines étaient là, toutes prêtes … mais en ce lieu lugubre où est condamnée à vie l’enfant héroïque, il faut faire ses tartines. Puis y aller. Y aller comme tous les jours, dans le lieu où vont les enfants : l’école. C’est bien l’école, on y apprend des choses.


Un lieu qui pue, à cause des sièges...en arrière plan, en 2015, on en est là.

L’école. Un lieu aussi lourdingue que le reste. Un lieu qui pue.
Sur le chemin de l’école, le saule pleureur, qui jouxte l’immeuble de huit étages peint en rose.
Sur le chemin de l’école, l’enfant héroïque passe toujours sous les branches du saule pleureur, qui tombent si bas par terre, formant comme un rideau entre ce monde et un autre : franchir les branches, c’est changer de monde. Entrer dans un monde fabuleux, l’espace d’un instant, où aucun de ces méchants qui peuplent le monde quotidien ne peut gagner, parce que l’enfant héroïque y est le héros des livres qu’elle lit. Dans les livres, le héros est toujours plus fort que les méchants qui lui veulent du mal. Dans les livres, le héros gagne le combat.
Le combat. L’espace du saule franchit, le rideau de branches se referme derrière elle sur le monde du rêve, et il faut, de nouveau, marcher dans le monde du cauchemar. Quotidien. A vie. Mener le combat. En espérant quoi ? Peut-être un jour retrouver le monde d’avant, d’avant le cauchemar ? L’enfant héroïque a oublié que le cauchemar a toujours été là dans sa vie, et, peut-être, cette mythification lui permet de tenir sans avaler la ciguë fatale.
Giordano Bruno, homme d'Eglise italien, qui, avant Galilée,
imagina qu'il pouvait y avoir d'innombrables soleils,
autour desquels tournaient d'innombrables Terres,
sur lesquelles vivraient d'innombrables êtres vivants...

Mais, n’empêche, que ces matins sont lourds, chaque matin, lourds comme la vie qui m’est promise, ne pense même pas l’enfant.
Les tartines sont de plomb, à porter pour les faire …
Et l’enfant héroïque, ses tartines calées dans le ventre, s’en va au combat, comme tous les matins. Bizarrement, depuis quelques temps, les matins sont tellement lourds qu’elle arrive à l’école après les autres. Pas fait exprès. Ils sont déjà tous montés : il est 8h30 bien passé, de dix minutes au moins. De cette époque datent les retards, pas faits exprès : juste le poids des pieds à traîner jusqu’au lieu du combat quotidien, après le poids des tartines à faire et le poids de l’éveil du matin. Le retour quotidien au monde réel est si lourd …
8h40, tous les matins : dix minutes quotidiennes gagnées, involontairement, sur le combat, par la grâce des pieds qui traînent. Le combat, dont la première manche commence véritablement à la récréation de 10h : crachats, insultes, parfois coups. L’enfant héroïque est la délectation de cette bande de garçons qui l’encercle à chaque fois, dans la cour, malgré la présence des maîtresses juste à côté. Elles ont beau les punir, ils s’en fichent, ils recommencent toujours. Telle est la place de l’enfant héroïque dans la cour : la sorcière à stigmatiser, à marquer de ses crachats. Pourquoi ? Juste parce qu’elle est l’enfant héroïque, on dirait.

C’est à tel point problématique que maman a dû emmener l’enfant héroïque voir une psychiatre, qu’elle voit depuis toutes les semaines, pour l’aider dans ses « problèmes relationnels avec les autres ». Pour l’enfant héroïque, c’est un stigmate de plus, dont elle ne parle à personne : le/la psychiatre, c’est l’endroit où l’on emmène les fous, non ?
Mais elle y va, par devoir puisque maman veut, comme elle va à l’école par devoir puisque les adultes veulent, puisque c’est là sa place dans le monde. Au milieu des crachats.
La récréation autour du repas est plus longue …
 
Omaya, chef de guerre en Irak contre Daesh, morte au combat durant l'été 2014
En arrière plan, en 2015, on en est là.


Et puis arrive 16h30 : fin de la journée pour l’enfant héroïque ?
Elle ne fait pourtant que commencer.

Avant de rentrer, l’enfant héroïque s’attarde en chemin, si ce n’est pas le même chemin, ce soir-là, que les garçons méchants, auquel cas elle devient leur proie jusqu’au pied de son immeuble..
Sur le chemin, il y a Titounette, la vieille chatte de 15 ans. Et peut-être d’autres encore. L’enfant héroïque a appris à parler à Titounette et aux autres, en s’approchant petit à petit. Un peu plus chaque jour, précautionneusement, sans entrer dans l’espace qui fera fuir le chat. Elle se maintient à la distance où le dilemme entre la peur et la curiosité se fait le plus aigu pour l’animal. Juste là. Au-delà, il fuirait et il faudrait tout recommencer à zéro… Alors, petit à petit, sur le chemin du retour, l’enfant héroïque construit des amitiés sans paroles, sans langage, avec ces êtres doux que sont les chats du quartier. Le langage lui sert pour partir ailleurs, lorsqu’elle franchit le rideau du saule pleureur. Le langage lui sert pour fuir le monde des humains réels.
Mais il faut rentrer et, comme tous les soirs, quitter Titounette. Monter les escaliers de l’immeuble rose qui est après le saule. Ouvrir la porte où il est marqué « Mr Dupont », comme s’il n’y avait que lui qui comptait, « Monsieur ». Et rentrer dans un autre enfer, pour un autre combat, plus désespérant encore.
Le combat du soir, c’est de supporter la guerre entre eux. Les insultes de l’un envers l’autre. La violence qui ne laisse pas de traces. La violence omniprésente mais qui ne sera jamais nommée comme telle. Parfois un verre cassé, une assiette, un objet cher à l’autre, substitut de la chair et des os qu’on ne cassera pas … violence sans traces. Guerre patricide et matricide.
Il n’est pas question de divorce, pourtant : il y a « les enfants », ce ne serait pas bien pour « les enfants », pense maman. Elle le dit parfois. Mais tout est mort pourtant.
Et la mort continue au quotidien, d’instiller son poison. Tous les matins, Dieu, que ces tartines sont lourdes à faire … Dieu, qu’il est lourd de vivre. Où trouve-t-on cette satanée ciguë ?
 
Avec Giordano Bruno, le monde était plus vaste, mais l'Inquisition catholique n'était pas d'accord :
Giordano Bruno fut condamné à être brûlé vif pour avoir trop imaginé,
pour avoir trop vu juste.

Je voudrais arrêter là l’histoire, mais l’enfant héroïque prend la plume et veut écrire elle-même la suite, plus noire encore.
Je me souviens, le soir parfois, c’est sur le canapé, ce sont ces moments que commente maman : « oh, tu vis ton complexe d’Œdipe ! ». Je me souviens de quoi ? De rien. Trou noir de la mémoire, de ma mémoire, à chaque fois. Seule la nuit se souvient pour moi.
La nuit : à la lueur de la lampe d’au-dessus du lit, s’évader sous le saule, franchir le rideau. Prendre la matière des rêves du lendemain, dans les livres d’histoires écrits par les humains.
Jusqu’à ne plus voir les lettres sur le livre, tant les yeux se ferment. Dormir.
Seule la nuit se souvient pour moi … d’un combat contre un être sans forme et sans nom, qui ne me veut que du mal, infiniment du mal, rend gris et désespéré le monde dans lequel je vis. Et mon cauchemar nocturne, toujours, consiste en ce combat contre lui.
Combat désespéré, inégal. Il me veut tant de mal, il veut tant me détruire, pourquoi, et je veux juste vivre …
Je me souviens, les week-end souvent, c’est sur son lit. Ce sont ces moments qu’il commente lui, avec ses mots-couteaux qui me plantent. J’ai oublié les mots, j’ai oublié les lames. A chaque fois, chaque week-end, pour continuer à supporter de vivre, la mémoire du moment juste passé, là, de sa violence, disparaissait dans le trou noir de ma mémoire. Laissant comme unique trace la grisaille du désespoir.
Parfois pourtant, il était gentil. Parfois pourtant, il m’expliquait ce qu’il savait : comment luisent les lucioles, comment marche une voiture, qu’est-ce que la force centrifuge, comment retenir la table de 11, comment tenir sur un vélo, comment marcher, d’abord … et puis le tout, entrecoupé des paroles-lames, des mots couteaux qui me plantent, à chaque fois. Comme des pièges tendus en travers de ma vie, comme des pièges pour que je tombe dans le gouffre, comme un châtiment pour une faute dont je ne sais rien.
Les paroles-lames me disent, m’expliquent, ce qu’est une femme pour un homme, quelle sera ma place dans ce monde, à travers son regard à lui. Son regard est un couteau qui me plante. Et tous les jours, le combat reprend entre son intention mortifère, et ma volonté de le changer et ma haine de lui et ma haine de moi et maman qui ne fera rien parce que c’est le même que le sien.

(Sophie Perrin, L’inceste : consistance du silence, 2010, pp 4 – 5)



La voix off – Nous ne sommes pas en Afghanistan. Nous sommes en France, ici et maintenant. Je le rappelle. Et maintenant :


*** RIDEAU***

La fille d'Omaya, faisant le V de la victoire lorsqu'on lui montre la photo de sa mère décédée.
Ici et là-bas, aidons la à gagner son combat.
L'enfant héroïque, c'est elle aussi, aujourd'hui, parmi d'autres.




[1] Osama réalisateur Sedigh Barmak, Afghanistan, 2003, durée 1h23, distributeur : haut et court, raconte l’histoire d’Osama, déguisée en garçon car sa mère doit être accompagnée d’un homme pour pouvoir sortir dans la rue et aller faire ses courses, travailler, etc. Découverte, elle est condamnée à mort par le tribunal taleban, mais celui qui l’a dénoncée rachète sa vie en la prenant comme épouse. Il l’emmène alors rejoindre ses autres épouses dans sa maison, à la campagne, fermée et isolée du reste du monde. Le film est resté peu de temps à l’affiche, en France.

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