Bienvenue sur ce blog. Pour suivre le fil de l'histoire si vous n'êtes jamais venu.e, le mieux est de cliquer sur le libellé « Présentation et entrée en scène des personnages importants de l'histoire ». Vous pouvez ensuite bifurquer par exemple vers « la Geste de Lyon 2 », « 22 les v'là - tonfa company story », « Autofiction », ou encore feuilleter les saynètes de votre choix dans « Les saynètes du crea'tif ».

Ou bien aller fureter, selon vos goûts et envies, dans les libellés thématiques : « Anthropologie », « Réflexions théoriques », « Micro-histoire (microstoria) », « Plaint'if : la plainte de Lyon 2 », « Revendica'tif », « Féminisme », ou encore « Etre victime ? Débat sur "l'être victime" et ses parcours - à partir de l'exemple de l'inceste ».

Tous les libellés sont visibles plus bas dans la page, colonne située sur votre droite.
Bien sûr, n'oubliez pas de commencer par les billets du bas de l'écran.


Bonne lecture à vous, espérant qu'elle vous sera plaisante.

lundi 4 mars 2013

Le message censuré : réflexions sur l'aide aux victimes via l'exemple de Liliane Daligand, épisode n°3


Le courriel ci-dessous reproduit a été mis comme pièce à charge dans le dossier pénal constitué contre son auteure, Sophie Perrin. Il est censé y illustrer sa violence, sa virulence, sa volonté de harcèlement moral envers l’université Lyon 2 et/ou ses membres, etc, par l’envoi « de centaines de messages électroniques à une liste mail constituée de centaines de destinataires ». Il constitue ainsi les pages 30 à 40 d’un dossier de 200 pages de ces insupportables courriels qu’il faut à tout prix faire cesser, soit 5% de ce dossier,  ce qui, cumulé avec la pièce précédente, nous mène déjà à 11,5% de ce volume, pas moins.
Ca, une pièce à charge ? Des propos condamnables pénalement ?
Que mon public juge, sur pièce, encore une fois.


Mais auparavant, qu'il sache également que ce message n'est tout d'abord pas parvenu à ceux.celles de ses destinataires dont l'adresse mail se terminait en @univ-lyon2.fr. En effet, c'est le 23 septembre 2010 que les adresses mails alors usitées par Sophie Perrin pour ces envois, ont été censurées sur ce serveur, acte revendiqué noir sur blanc comme volontaire dans des écrits présentés en Justice par l'université Lyon 2, écrits signés de son président d'alors. 

Sophie Perrin a donc du créer de nouvelles adresses mail pour faire parvenir ce courriel - et les suivants - aux personnes dépendant du serveur de Lyon 2.
Cette censure n'a suscité aucune indignation dans Lyon 2, le sort d'une folle présumé laissant facilement indifférent, dans notre société follophobe. Enfin, la plainte finalement faite par Sophie Perrin le 9 mai 2011 à ce propos, est depuis, perdue semble-t-il dans les dossiers poussiéreux du Parquet...

[les phrases entre crochets comme ceci sont des ajouts au courriel d'origine, permettant d'améliorer sa lisibilité. La seule modification ici faite au texte de cette "pièce à charge" concerne les noms de personnes citées, qui, lorsqu'elles ne sont pas des personnes publiques, sont parfois anonymisées, selon entente avec elles avant cette publication sur le présent blog]



Date : 23 septembre 2010 12:02
Objet : Le message censuré : " et ma réponse, à mon tour"

Envoyé le : Jeu 23 septembre 2010, 0h 14min 50s
Objet : et ma réponse, à mon tour


Bonsoir,
Maintenant que les différents acteurs du débat sont présentés, je présente brièvement, avant de commencer ma participation au débat, le groupe à son invitée temporaire.

Ce groupe (liste complète des mails en pièce jointe, à disposition de chacun/e pour répondre à tou/te/s si besoin), a été créé, peu à peu, brique par brique pourrait-on dire, suite à la soutenance de mon mémoire de master 2 recherche en anthropologie à Lyon 2, sur l’inceste.
Ce qui a motivé sa création, c’est un barrage – qui s’avère très persistant – à mon entrée en thèse à Lyon 2 dans ma discipline. Ce, pour d’obscures raisons, et le tout mâtiné de ce que moi je reçois comme une injustice révoltante.
Donc ce groupe est né, grosso modo, de ma révolte. Puis il a cru avec elle, puisqu’à chaque envoi (d’un bout de mes travaux agrémenté parfois de quelques annexes), j’ajoute une ou deux personnes, en général en ce moment, des chercheurs/euses que j’ai cité/e/s et discuté/e/s dans ma recherche.
Aujourd’hui, il est donc composé de chercheurs/euses de différentes disciplines (essentiellement anthropologues, sociologues, et il y a aussi quelques profs de psycho). D’étudiant/e/s et doctorant/e/s, et, également, de collègues à moi notamment (puisque je travaille, par ailleurs), ce qui donne un groupe intéressant parce qu’il fait se rencontrer des univers qui, sinon, ne se croiseraient jamais, ou du moins, n’auraient jamais conscience qu’ils se croisent.
Si je devais décrire la situation qu’il y a autour de moi en termes familiers à une personne formée en psycho, j’emploierais l’expression « fonctionnement pervers d’une institution » [un exemple clinique de ceci, par ici, développé par un vrai connaisseur du domaine : René Kaës - et je précise que dans "pervers", je ne mets pas de jugement de valeur, juste un constat, et un fonctionnement peut évoluer dans le temps, aussi].
Comme la seule solution face à la perversion, c’est la fuite, il faudrait que je fuie. Mais comme en même temps, pour moi, la perversion, c’est un peu la routine, eh bien j’affronte (j’ai vécu 18 ans de ma vie, au quotidien, avec un type vachement plus pervers encore dans ses comportements, et qu’il fallait que j’appelle « papa », donc autant dire que la perversion, je connais comme ma poche. D’ailleurs, parfois je reçois encore de « papa » des p’tites lettres ou autres messages menaçants, tantôt de poursuites judiciaires pour des motifs hallucinants, tantôt d’autres menaces voilées, enfin bon, il en faut beaucoup pour me démonter, du coup).
Et franchement, pour arriver à l’intensité de perversion de « papa »,il faut s’accrocher. Bref, il y a encore de la marge.
Je précise pour les non-psychos, que « perversion », ce n’est pas synonyme de « perversion sexuelle », mais simplement de comportements négateurs, destructeurs et disqualifiants de l’autre, qui est pointé comme, pour faire court et approximatif, « le mauvais objet, à éliminer ».Disons qu’il doit y avoir une certaine dose de sadisme, dans ce comportement. Et ça fait 3 mois que ça dure et que personne n’arrête cette machine infernale …voilà en résumé.
[Pour un développement plus long sur ce sujet de la perversion individuelle, on peut feuilleter ici cet extrait de l'ouvrage Le défi magique, rédigé sous la direction de François Laplantine, Jean-Baptiste Martin et Massimo Introvigne]
Donc ceci étant dit, passons au débat. Francine me répondait donc :
"Ce que je voulais dire, au delà de l'anecdote où j'ai croisé Liliane Daligand, c'est qu'il y a un processus où tu dois t'affirmer en victime, et travailler là dessus, même si tu n'as pas pu dénoncer ton bourreau sur le plan pénal. Et je crois que LD a cette capacité, sinon, quel travail a-t-elle fait avec les victimes d'attentats ?"
Je pense qu'il y a beaucoup de choses qui se jouent, dans notre discussion, autour de ce mot (et de son sens) : "victime".
Sans jargon professionnel (tout le monde ici n'est pas chercheur/euse en anthropologie), en français, le mot victime s'applique :
- quand un accident se produit, ou une catastrophe naturelle : "victime d'un accident, d'une inondation, d'un éboulement, d'un dévissage sur une paroi d'escalade, etc".
- quand un acte intentionnel visant à démolir la victime se produit : "victime d'un viol", "victime d'une tentative de meurtre", "victime de harcèlement moral", etc
- le cas de l'accident (et de certaines catastrophes dites naturelles) peut évoquer la négligence, comme dans l'accident du travail lorsque les conditions de sécurité ne sont pas respectées, ou bien sur la route quand c'est à cause d'un chauffard qui ne respecte pas le code. Là, on croise la question du mépris (mépris du patron pour sa "main d'œuvre", mépris du chauffard pour sa vie et celle des autres, par exemple). Ce n'est pas la faute à la nature, mais à un être humain (ou un collectif) qui, s'il n'a pas pour but de détruire quelqu'un, lui manque de considération au point que le résultat est une victime d'accident.
Il m'est arrivé de voir une tuile s'écraser par terre à 2m de ma tête. Elle était tombée toute seule. Je me suis dit "fichtre, à 2m près, c'en était fait de moi". Mais c’est tout.
De même, il m'est arrivé de voir un énorme rocher s'écraser à 200m de moi, sur un sol enneigé, après une chute de 1000m (1 km) de dénivelé, un franchissement fracassant d'une barre rocheuse située à mi-montagne, et le tout accompagné d'une bonne avalanche (heureusement c'était de la neige de printemps, elle s'est arrêtée en bas direct, sans aller plus loin, ouf).
C'était impressionnant, je n'aimerais pas que ça se reproduise. Mais ça ne m'a pas traumatisée non plus, voire ça me fait, à l’occasion, une histoire impressionnante à raconter.

En revanche, je sais que quand il y a autour de moi des gens qui commettent des actes avec l'intention de me faire du mal, qu'ils réussissent ou non, l'effet n'est pas le même du tout que quand c'est la loi de la chute des corps qui conduit la tuile ou l'avalanche. Par exemple, les balles de tennis envoyées sur le mur et qui me rasaient d’un peu près dans la cour du collège, n’étaient pas des projectiles très dangereux physiquement. Mais ils me visaient. Et c’était une intention de me faire du mal, qu’avaient les petits collégiens qui me visaient ainsi, moi la petite collégienne. Eh bien ces balles-là m’ont fait bien plus de mal que les deux choses précédemment citées, à tel point qu’aujourd’hui encore (soit 20 ans après), j’ai le réflexe d’éviter les ballons, ce qui compromet toute possibilité de m’investir dans une équipe de hand ball ou de volley, par exemple. J’évite aussi de faire du ski de fond en avril en fin d’après midi dans les petites stations mal équipées pour sécuriser les alentours, depuis l’avalanche, mais c’est un acte volontaire et sans ressenti d’angoisse ni de peur, nuance.
Donc, ici, je vais laisser tomber les catastrophes naturelles dues aux dures lois de la physiques auxquelles nous sommes tou/te/s soumis/es. Je laisse aussi le cas de l'accident et de la négligence, tout en l’ayant mis en relief parce qu’il est voisin de ce dont nous parlons dans le débat, sans être exactement ce dont nous parlons nous pour autant.
Nous, nous allons parler exclusivement du cas où il y a un (ou plusieurs) humain(s) qui font du mal, volontairement et sciemment, à d'autres humains, et transforment ces derniers en leurs victimes.
Je suppose que Francine, lorsque tu dis « qu'il y a un processus où tu dois t'affirmer en victime », tu fais allusion au fait que souvent, dans notre société en tout cas, les victimes d’un acte comme cela se sentent d’abord, non pas victimes, mais coupables.
J’ai, là, encore en mémoire mon propre parcours bien sûr, mais aussi celui d’autres. Comme celle à qui je pense en ce moment, qui, sur un forum internet, écrit tout le temps « oui, c’est vrai ce que tu dis, les victimes d’inceste ont souvent (ce problème-ci, cette séquelle-là, etc) ». Et quand je passe par là, je lui fais toujours la même réponse : « ah ? Parce que tu n’es pas du nombre ? », « ne crois-tu pas que tu aurais du écrire « oui c’est vrai ce que tu dis, NOUS les victimes… » ? ». Et que ce soit moi ou d’autres qui le renvoyions (tout en pensant, à notre tour : « oh, c’est vrai, souvent les victimes d’inceste ne se reconnaissent pas comme victimes » …), eh bien elle, le mot victime lui est tellement insupportable encore, que à chaque fois, vient ensuite l’inéluctable réplique (endolorie, et pas qu’un peu) : « non, pas VICTIME, je supporte pas ce mot, c’est trop horrible ». Eh bien oui, c’est exactement ça, c’est trop horrible, c’est d’ailleurs bien pour ça que c’est insupportable, ce mot, et ce qu’il contient surtout. C’est ainsi.
****
J’ai peut-être été un peu vite en mettant Liliane Daligand et les associations où tu as un « parcours fléché de victime » dans la même analyse. Daligand parle de « sujet »,dans ses textes, ce qui -normalement - , dans le vocabulaire d’une de ses disciplines (la psycho), s’oppose à « parcours fléché ».
Néanmoins, je suis d’accord sur le fait que tant Liliane Daligand que ces associations à « parcours fléché » œuvrent à ce processus de faire passer les gens de « coupables dans leur tête » à « se reconnaître avoir été victime ». Ce que je conteste, c’est, d’une part, la manière.
Dans les associations telles celles que j’ai évoquées, nous avons des bénévoles – bien intentionné/e/s, là n’est pas le souci – qui veulent aider des victimes. Mais à aucun moment, les victimes n’ont de part de pouvoir dans l’association, en tant que telles. Et si une victime veut devenir bénévole, elle ne devra pas dire « j’ai été victime moi aussi », ni en se présentant pour entrer à l’asso, ni en entretien avec une victime. Etre passée par ces affres – et en être sorti/e - n’est en aucun cas perçu comme un apport d’expérience pour l’asso dans l’aide aux nouvelles victimes qui arrivent.
Finalement, dans ce type de dispositif, les victimes sont aidées mais restent–statutairement- dépourvues de pouvoir vis à vis du dispositif qui les aide. Elles ne peuvent pas participer à l’élaboration de ses orientations (conseil d’administration de l’asso, etc). Elles viennent individuellement, et restent aidées individuellement de A à Z.
Et Liliane Daligand, lorsqu’elle écrit des ouvrages (et pas forcément dans sa pratique), me semble bien tomber, à son tour, dans le travers du parcours fléché : Justice, thérapie. Quid des victimes pour qui ce n’est pas possible ou pas réaliste ?
Celles-là, quels parcours leur sont possibles ? Pour une Eva Thomas qui s’en sort en trouvant une maison d’édition qui édite son récit (« le viol du silence » puis « le sang des mots »), combien restent dans le ravage d’une parole qui n’a de place nulle part (même la thérapie, n’est pas forcément un lieu possible pour certaines) ? Bref, il y a un modèle de parcours unique, et un peu idéalisé par l’auteure en plus, dans ses écrits, me semble-t-il. C’est, précisément, ce que je désigne par « parcours fléché ».
Mais je reviens aux associations : les victimes vont bien, si tout se passe bien, y faire un parcours qui normalement va les faire être reconnues (ou, au moins, se reconnaître) victimes. Mais les affres qu’elles ont traversé ne seront d’aucune utilité à personne, seront juste l’expérience la plus horrible de leur vie et c’est tout. Elles ne peuvent rien en faire d’autre. Une fois (si tout se passe bien) le coupable condamné, elles vont devenir peu à peu « anciennes victimes » et non plus « victimes ». Donc sortir peu à peu de leur état de victime (état où il y a des grandes souffrances psychiques, dues à l’agression subie, voire subie de manière répétée durant des années et des années). Elles vont redevenir des personnes normales, avec cette horrible expérience qui sera, si tout se passe bien, devenue du passé, et c’est tout.
Mais le passé et c’est tout, on peut vouloir l’évoquer, parfois. Or, quand il s’agit de ce passé-là, son évocation suscite de tels phénomènes chez les interlocuteurs/trices, que bien souvent, c’est impossible de l’évoquer. Ou alors, c’est reparti pour un cercle –vicieux- de honte pour soi, d’avoir subi ça, d’avoir été … victime. Victime : cette chose passive qui, quelque part, aurait peut-être pu se défendre, mince. Nous signifie l’interlocuteur/trice qui, peut-être, se défend ici contre le ressenti que « être victime d’un autre humain », c’est possible, ça peut réellement exister, là, juste à côté de soi (voire qu’on pourrait l’être soi un jour).
Et qu’il ne peut y avoir aucune justification à ça.
Dans une société où l’on pense le mal en termes de « faute » et de « punition pour la faute », ceci est impensable. Seule une pensée qui mettrait le tragique (la tragédie, comme les tragédies grecques) au premier plan, pourrait donner lieu, probablement, à des réactions bien différentes de ce cercle vicieux (je pique cette idée autour du tragique au premier bouquin écrit par François Laplantine, paru en 1976, alors que j’avais un an à peine).
Bref, ce passé-là n’est jamais anodin, jamais comme un passé « ordinaire » : une fois qu’on a été victime, on ne redevient pas une personne non victime, on devient une personne qui a été victime. Dans le cas de l’inceste, certaines disent « survivantes », d’autres disent « anciennes victimes » (ou « victimes », mais comme abréviation de cette expression-ci).
Et ce statut, que tu portes à vie parce que le passé ne s’efface pas (hormis par la mort qui efface également la mémoire existante de ce passé – d’où peut-être ces idées de suicide de certain/e/s), en réfléchissant (c’est ce que tu m’as renvoyé là qui me fait réfléchir), je crois que c’est quelque chose d’un peu différent du processus « où tu dois t’affirmer en victime et travailler cette réalité » (c’est à dire travailler à supporter peu à peu cette réalité du caractère horrible de ton histoire plus ou moins récente).
Il me semble que dans mon texte, c’est dans ce second sens là, que je parle de la « place de victime » dans notre société (sous entendu « la place d’ancienne victime ») , et que j’essaie d’analyser son caractère stigmatisant, délégitimant. Mais tu vois, sans ta question, je n’aurais pas fait clairement la distinction entre les deux, parce que je n’aurais pas du réfléchir.
Ce caractère stigmatisant, délégitimant, c’est que si tu as vécu une expérience horrible comme celle d’être l’objet d’une volonté de démolition de toi par un autre humain, en plus d’avoir à assimiler cette expérience insupportable, eh bien toute ta vie, il te faudra aussi, ensuite, assimiler qu’avoir vécu cette expérience insupportable te fait juger moins légitime pour suspecter que telle gamine, dans la crèche où tu travaille par exemple, est en train de vivre le même genre d’horreurs, que quelqu’un qui serait « objectif » parce qu’il n’aurait, en somme, pas été perturbé par un tel vécu dans son histoire.
Et moi, le problème que j’ai avec l’expert-psychiatre Liliane Daligand, c’est ça : c’est son propos effectivement méprisant envers la parole d’une ancienne victime qui dit : « tiens, les comportements de cette petite me font penser aux miens quand je subissais des abus moi aussi ». L’ancienne victime (jeune et stagiaire, de surcroit) n’a pas dit autre chose. Elle n’a pas dit « je sais ». Elle a dit : « ça me fait penser à … ».
Et je précise à Liliane Daligand, ici présente, que moi aussi, en tant qu’ancienne victime très précisément, parfois, je me dis « ça me fait penser à … ». Puis je laisse venir, je pose quelques questions, tranquille, et ça vient, ou alors c’est autre chose, qui vient. Mais ma position est plus simple puisque je ne travaille pas en crêche, moi : je n’ai donc pas à me demander s’il faut faire un signalement. D’autre part, c’est bien parce que je ne me tais plus sur le fait d’avoir été victime d’inceste, que des gens autour de moi me parlent, parfois c’est la première fois qu’ils en parlent à quelqu’un, des abus qu’ils ont subis eux aussi. Et ça, j’en ai conscience depuis le début, c’est aussi pour ça que je le dis, parce que ma parole rend possible ou moins difficile celle d’autres. Et ma recherche, c’est aussi un autre moyen pour parvenir à ce même but de libérer un peu la parole. Et tout ça, c’est bien le produit d’une histoire où j’ai été victime d’inceste (et pas expert-psychiatre).
Mais dans le livre, l’expert-psychiatre Liliane Daligand (et je dis bien l’expert-psychiatre, pas la psychanalyste qui nous parlait du « sujet »), me semble effectivement à son tour enfermer les victimes dans un parcours fléché : dans sa théorie – qui n’est jamais mise en débat avec des théories adverses, ce qui pourrait, par l’affrontement, les améliorer mutuellement – il s’agit d’articuler soin et procès sans confondre les deux. Là, hop, je prends ma casquette d’anthropologue, et je remarque que ça ressemble beaucoup à un questionnement d’expert-psychiatre, puisque l’expert/e-psychiatre se doit, précisément, sans cesse, d’osciller entre thérapie psy et expertise à but judiciaire, dans ses pratiques au quotidien.
Donc pour moi, elle parle de cette place-là, quand elle écrit, et cette place a une légitimité me semble-t-il, dans le sens où elle exprime un point de vue que seul/e un/e expert/e psychiatre peut amener, puisque ce sont ces enjeux et difficultés-là, dont il/elle part dans sa pratique.
Moi, dans ma pratique, si je veux théoriser sur l’inceste, je ne vais pas partir de ce point de vue là, mais d’un autre angle de vue, qui existe aussi dans l’histoire : celui que seul/e une ancienne victime peut amener, et qui est un angle de vue différent, mais également légitime.
Exemple : vers la fin de l’ouvrage que j’ai déjà cité, Liliane Daligand écrit « Les deux cas cliniques que je rapporte ici concernent deux petites filles que j’ai suivies pendant plusieurs années. Leurs histoires se terminent bien. Je n’ai pas eu le courage – à moins que ce ne soit pour montrer ma confiance en la Justice – de citer des cas où des enfants victimes ont été renvoyés au mensonge et à la mort après classement sans suite d’un signalement ou d’une plainte, après un non-lieu prononcé par un juge d’instruction, une relaxe ou un acquittement au procès. » (p 342).
En tant que victime puis ancienne victime à Lyon, la ville de Liliane Daligand, j’ai moi-même évolué dans cet univers, où le côté sombre de la Justice est occulté dans les écrits des gens reconnus comme légitimes à théoriser sur l’inceste. On m’a imbibée de l’idée que la Justice c’est le retour à la loi, voire à la Loi, enfin, on m’a montré son rôle solennel, son « tranchant » salvateur, etc.
Eh bien après mes mésaventures judiciaires – de victime– je dois dire que je ne partais pas, contrairement à Liliane Daligand, expert-psychiatre, d’un vécu « de confiance » dans la justice.
Donc j’étais prête à entendre et relayer aussi bien des expériences désastreuses vis à vis de la Justice, que des expériences qui se déroulent bien.
Le tout, avec un léger parti pris hargneux voire haineux, comme point de départ, vis à vis de cette « Justice » injuste et méprisante (de mon point de vue et selon mon expérience personnelle, qui s’avère ressembler aux expériences d’autres personnes, encore trop nombreuses, sur ce chapitre).
Bref, nous avons là deux points de départ très différents. Et dans mes travaux, à l’inverse de Liliane Daligand qui tend à minorer ces aspects sombres, moi, je passe mon temps à chercher la« petite bête » même dans l’unique cas de mon corpus où l’abuseur est condamné (abuseur de Lydia).
Bien sûr, on pourrait dire du coup : « mais aucune de vous n’est objective ! Vous déformez tout ! ».
Mais là, avant de passer au bouquin que tu m’as prêté, je vais faire une petite analogie : quand on dessine (ou peint) le portrait d’une personne, on le fait à sa manière à soi, qui est unique. Si moi et Liliane Daligand faisions des portraits, eh bien s’il fallait dessiner un tribunal où nous serions toutes deux au même moment, chacune avec notre matériel à dessin, cela donnerait deux portraits différents du même tribunal. Lequel serait le plus « objectif » ? Le moins exact ? Ces questions ont-elles un sens, ou bien ce qui compte, c’est d’arriver par son tracé à dresser un portrait suffisamment précis du lieu ?
Bon, eh bien l’objectivité scientifique, pour moi, c’est pareil. On n’a aucun moyen d’avoir une photo du tribunal, on n’est que des dessinateurs/trices. Et pour avoir une vision plus « objective » du lieu dessiné, c’est à dire une vision plus complète, le seul moyen que je connaisse, c’est de reconnaître comme valables tous les dessins et croquis qui en ont été faits, et de comparer ce qu’ils montrent et occultent du lieu.
Et ce que je reproche à Liliane Daligand dans son ouvrage, c’est de ne jamais mettre en regard ou en discussion avec d’autres son dessin à elle. Et, pis encore, d’y ajouter sa participation à la stigmatisation des anciennes victimes, en leur déniant toute connaissance valide sur le sujet.
Donc j’en viens à ce que j’ai trouvé dans le bouquin que tu m’avais prêté, et qui dit la même chose d’une autre manière (et je me permets de me citer citant ce bouquin, parce que je suis atteinte d’une crise de nombrilisme) :

« 2) De l’objectivité aux points de vue

« L’autorité scientifique a parlé » - « le terrain a parlé » : ces considérations mènent alors à la question de l’objectivité scientifique. Ainsi, Dorothée Dussy compte, parmi les raisons pouvant amener à mettre en doute la crédibilité des interlocuteurs/trices, « le manque de distance de l’enquêteur, ou son absence d’objectivité, pour commencer » (Dorothée Dussy, 2004).
Un moyen possible de réponse à ce questionnement peut être selon moi trouvé via la notion de savoirs situés, rompant avec une conception Durkheimienne de l’objectivité, qui serait en quelque sorte un point de vue surplombant, dégagé des prénotions et affects, et, de ce fait même, suffisamment distancé. Or, les faits sociaux ont ceci de particulier que nous y participons tou/te/s, y occupons une place. Pascale Molinier, réfléchissant avec les membres de son équipe de recherche autour du travail domestique, constate ainsi :« nous avons fait la découverte désagréable mais instructive de nos propres résistances et censures. (…) Fils et filles de maîtres ou fils et filles de serviteurs (ou assimilés), nous ne réfléchissions pas tous et toutes à partir du même point de vue, et cela générait, autour de la table, beaucoup d’irritation et de ressentiment. Bref, les chercheurs aussi sont situés. (…)L’épistémologie du point de vue ou des savoirs situés a mis en évidence que les sciences sociales ont été construites à partir du point de vue « homme, blanc, bourgeois, du Nord occidental » et que ce point de vue étant le seul considéré comme objectif, les points de vue minoritaires étaient considérés comme « subjectifs » ou« particuliers » et finalement rejetés comme non scientifiques. » (Pascale Molinier, 2006, p. 45).
Ainsi, plus qu’un point de vue objectif unique, surplombant car suffisamment distancé, il convient de« rendre visible et interrogeable la situation de qui produit des connaissances sur qui. » (Pascale Molinier, 2006, p. 46), en effet,« les déformations ethnocentriques [ou de classe, ou de genre], dues à la culture à laquelle on appartient, sont inévitables. Plutôt que de les déplorer, nous devons en tenir compte, comme de sources d’erreurs systématiques »(Georges Devereux, 1980, p. 198). Dès lors, « si nous utilisons, côte à côte et de manière avertie, à la fois une source occidentale et une source non occidentale, chinoise par exemple [ou bien un/e fils/fille de serviteur et un/e fils/fille de maître], en gardant présentes à l’esprit les imperfections spécifiques (préjugés, astigmatisme) de chacune de ces paires d’yeux respectivement, l’exactitude de la vue obtenue sera comparable à celle obtenue par triangulation » (Georges Devereux, 1980, p. 198).
L’objectivité apparaît alors plutôt comme une triangulation de plusieurs points de vue, quand cela est possible, que comme donnée par un seul point de vue, qui serait doté de la capacité de s’abstraire par lui-même de toute déformation (prénotions, ethnocentrisme, etc), et capable de tout voir.
Ainsi, le présent mémoire se veut plus modestement une contribution, un point de vue, situé, qui en appelle d’autres et vient après d’autres, situés également, pour construire une connaissance anthropologique de l’inceste. » (ça, c’est ce que j’ai écrit en 2008, dans mon mémoire de master 1, pages 11-12, disponible à la BU de Bron ou bien sur internet en tapant « Sophie Perrin anthropologie » dans google ou yahoo).
Voilà. C’est une réponse longue, mais tu me connais (et heureusement que S. n’est pas là, sinon elle ferait une jaunisse en mesurant la longueur de l’écrit, lol).

Pour moi, il y a donc :
- victime au sens où tu le dis, et qui pose difficulté dans une société basée sur la faute/rétribution pour la faute, et non sur une vision tragique du mal par exemple.
- Victime au sens « ancienne victime » (que je ne distinguais pas nettement avant ta question), et qui voit son expérience déniée de toute validité par l’expert psychiatre déjà citée ici.
Qu’en penses-tu ?
Moi, j’arrête ici mon écrit du soir (mais le débat est-il fini ? J’espère que non). Je rappelle à tout/e un/e chacun/e que demain matin, à 10h30 à Lyon, il est possible de venir à un petit rassemblement sympa (métro D arrêt Monplaisir-lumière) pour manifester son désaccord (si on n’est pas d’accord) avec l’idée de ne pouvoir partir à la retraite avant 62 ans (au mieux), voire de devoir travailler (le plus souvent) jusqu’à 67 ans.
Je rappelle que plus on est nombreux/euses, plus ça pèse dans les décisions, et en sus, vu que le p’tit rassemblement va être gros, on peut très bien faire la grasse mat’ jusque vers 10h tranquille, et arriver entre 11h30 et 12h, ou encore venir pendant sa pause de midi si on n’a pas de grève possible dans son secteur.
Et je termine par la petite doc sur le PIB, ce grand inconnu, qui nous est rapportée, surprise, non par l’économiste en titre du groupe (André Tiran), sans doute trop occupé en ce moment, mais par J., mieux connu ici comme agent à Pôle emploi.
C’est que J., avant de plonger au cœur de l’économie appliquée en réussissant son concours d’entrée comme agent de l’ANPE, a suivi des études d’économie, il a même failli pouvoir devenir chercheur reconnu, mais un peu pour des raisons ressemblant à celles de Francine, il a du lâcher ce projet : le statut de chercheur non titulaire, quand on commence à avoir une famille à nourrir, eh bien ça nourrit mal. Mais ses p’tites recherches (en économie de la production) se trouvent probablement toujours sur quelque rayonnage, d’endroits ressemblant comme deux gouttes d’eau à ceux où se trouvent mes recherches à moi.
Donc nous avons le PIB vu par l’INSEE (qui collecte les données puis fait les calculs) : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/produit-inter-brut-prix-march.htm
Et le PIB plus développé, avec quelques critiques tout à fait justes de cet indicateur (qui n’est qu’une mesure à ne pas déifier) :
En formation, nous avions eu un spécialiste du sujet, qui faisait des remarques (critiques) encore beaucoup plus fine autour du calcul du PIB. Mais c’était en 2003 et je ne m’aventurerais pas dans une tentative de récitation d’un cours aussi ancien dans ma mémoire.


Please consider the environment - do you really need to print this email?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire