Vendredi
28 juin 2013 avait lieu un Conseil d’Administration à Lyon 2.
Rageant et pestant, mazette, en mon for intérieur, d’une motion unitaire tombée
à la flotte pour cause de détestation mutuelle trop grande entre syndicats et
associations étudiantes qui l’avaient cosignée ensemble, et aussi pour cause de
blocage (pourtant facile à contrer si on est uni.e.s – là est tout le
problème…) en commission permanente (instance préparatoire au CA), je résolus
de venir pointer mon minois là.
Pile poil devant le CA d’ce jour-là.
Pourquoi
ça ma bonne dame ?
Envahissement
sauvage ? Dépôt d’une bombe ? Pêt de pétard mouillé ?
Que
nenni.
Je
voulais juste discuter.
Comme
support à la discussion : scotch, affichettes.
Affichettes
reprenant le communiqué informant de l’annulation des arrêtés qui
m’interdisaient tout accès aux campus depuis plus de deux ans. Communiqué très
bien car il expliquait aussi, de manière disons pédagogique, comment au nom de
l’université Lyon 2, j’avais été traînée dans la boue un peu partout.
Voici
les affichettes promptement scotchées sur la porte ad hoc : celle que les
élu.e.s au CA vont devoir regarder avant de la franchir pour entrer dans les
locaux où se trouve la salle du Conseil.
Une
vigile passe. La fac, hormis moi, les élu.e.s, les personnels et les vigiles,
est à peu près déserte car on est fin juin.
Un
élu sonne pour entrer au CA. Re-sonne…dur dites donc, d’entrer. C’est un peu
fort knox, c’t’affaire là…faut arriver à la franchir, c’te porte-là…
Du
coup, il a bien le temps de remarquer l’affiche, et de la lire.
Ca a des bons côtés, fort knox…
Un
second élu arrive. Même scénario.
Un troisième, davantage en difficulté pour entrer.
Un quatrième. Rah, c’est vraiment dur, fort knox.
Une
jeune qui pourrait bien être l’élue étudiante UNEF entre aussi.
Puis
arrive l’élu FAGE, qui discute un peu avec moi, maintenant qu’on se connaît.
Même si ma mauvaise humeur à cause de la motion avortée est bien visible.
C’est
le dernier jour possible pour porter la motion dans les délais, mais il ne la
portera pas, ni les autres. Parce que plus aucun n’y croit ? Ou n’a envie
de se coltiner le truc difficile ?
C’est
dur, de s’opposer. C’est dur, de pas être sûr.e de gagner.
Les
autres élu.e.s étudiant.e.s sont absent.e.s ce jour-là.
Un
jour de fin juin.
L’élu
FAGE doit carrément appeler par téléphone portable quelqu’un à l’intérieur,
pour qu’on vienne enfin lui ouvrir. Il entre.
Je
termine de scotcher mes affiches sur le mur d’en face, celui que verront les
sortant.e.s du CA (lorsque je suis arrivée, à peu près la moitié d’entre eux
était déjà à l’intérieur. C’est cette moitié-là que je vise là). Je fais cela
en espérant qu’elles tiendront jusqu’au soir, jusqu’à leur sortie…
Puis
je m’installe pas loin, et regarde comment cela se passe pour mes affiches.
Un
BIATOSS passe, stoppe devant la porte pour les lire. Puis se retourne vers
moi : c’est un personnel que je connais. On discute. Il me demande des
nouvelles. Me parle d’autocollants vus sur son lieu de travail à mon
propos : non signés, et c’est des autocollants, il n’est pas d’accord, il
pense que ça dessert ma cause. Les affiches scotchées par contre, « ça
c’est OK, ça va ». L’échange prend allure de négociation implicite sur ce
qui peut être mis, ou pas, et selon quels modes, sur les murs des campus. Il
s’en va, après m’avoir offert l’hospitalité d’un panneau syndical dont je
tairai ici l’emplacement (anonymisation oblige).
La
vigile re-passe. Dans ce campus des quais, les vigiles ne chôment pas :
ils doivent constamment faire des rondes. Lors de la ronde précédente,
elle n’avait rien vu. Là, elle aperçoit une affiche (qui était tout autant là
lors de sa ronde précédente). Comme c’est juste scotché, c’est facile à arracher.
D’un air agacé, voire carrément énervé de voir une affiche scotchée, elle
l’arrache. Puis s’aperçoit, damned, qu’il y en a une seconde à côté. L’arrache
avec la même hargne.
Se
retournant, elle en voit trois autres, les arrache peut-être un peu plus nerveusement
encore. Puis relève la tête, et en trouve une autre, juste au-dessus du panneau
« 28 juin, remise de légion d’honneur » avec une flèche pour que les
gens arrivent à la salle.
Ensuite, elle suit les flèches jusqu’à la porte de la salle, porte où elle
arrache la dernière affiche. Ouf. Terminé.
Moi
pendant ce temps, je tapote sur mon téléphone portable, l’air d’envoyer un sms,
et j’observe sans mot dire.
Elle
s’en va, ne jetant pas les affiches mais les emportant précieusement.
Le
BIATOSS repasse à son tour, et je lui fais observer : « elles ne
tiennent pas longtemps, ici, dites donc, les affiches… je comprends que des
camarades préfèrent coller des autocollants que scotcher des affiches, du
coup ».
Il
me répond, encourageant : « il y a quand même des gens qui ont pu les
lire ». Je sais. C’était bien ainsi que je le voyais. Et puis il ajoute,
peut-être parce qu’il n’oublie pas qu’il se balade avec le même trousseau de
clefs que les autres personnels de la grande famille professionnelle « sécurité incendie » dans les
campus, « ceci dit, il y a des endroits pour les mettre, les
affiches ».
Peu
après, une nouvelle élue, l’air peu habituée des lieux, passe. Elle me demande
son chemin. Je lui fais : « vous allez au CA ? ». Oui.
« C’est cette porte. Faut sonner soit à « présidence », soit à
l’autre bouton, voyez celui qui est le plus efficace. Mais tout le monde a eu
des problèmes pour entrer : c’est devenu fort knox ici…y’a même un élu qui
a du appeler à l’intérieur par téléphone pour pouvoir entrer ».
Elle :
« A une époque, il y avait des pompiers là, qui ouvraient.
-
Euh,
des vigiles vous voulez dire ?
-
Oui,
des vigiles.
-
Ben
… y’en a un qui vient de passer d’ailleurs. On aurait pu lui demander.
-
Oui,
j’y ai pensé aussi. Il a pas le passe ?
-
Mais
c’est même pas sûr qu’il ait le passe. Le prochain qui passe, essayez, mais
c’est pas sûr qu’ils aient tous le passe : c’est tellement devenu fort
knox ici que… »
Elle
me demande pourquoi. Je lui réponds : « Je pense que c’est parce
qu’ils ont peur que certaines organisations étudiantes les envahissent, et,
voilà, ils sont tellement obnubilés par cette peur que du coup, même les gens
qui viennent au CA peuvent plus rentrer…faudrait rétablir un peu de dialogue
dans cette université, je crois, desfois. Parce que bon, le problème, c’est que
quand des organisations en viennent à envahir le CA dès qu’ils peuvent, c’est
aussi qu’y’a un problème de dialogue, quoi ».
Après
quelques minutes de patience, une personne de l’intérieur vient, enfin, lui
ouvrir la porte, précautionneusement. On se dit au revoir, je lui souhaite
« bon CA ».
Je
reste encore quelques minutes, puis me dis que puisque les affichettes, ça ne
tient pas, je peux plutôt faire passer l’information de la main à la main,
lorsque les gens sortiront du CA.
« J’ai
reçu ce tract en mains propres de Sophie Perrin », vous imaginez
l’effet ?
Vu
ma réputation dans l’enceinte de Lyon 2, les élu.e.s du CA seraient alors
admiré.e.s comme des héros : « et elle ne vous a même pas
mordu ??? Ni sauvagement agressé.e ??? ». Pas
poooossible !!!
Je
vais donc régler diverses affaires en ville, puis reviens, en faisant le
crochet par la COREP pour imprimer la même chose en format A4, 20 exemplaires.
Je
reviens à mon poste, sur les escaliers qui sont pas loin de la fameuse porte.
Il
s’écoule à peine dix minutes, que revoilà un vigile en ronde.
Il s’arrête, à distance, dix mètres, de moi. Prudemment ?
« Bonjour
Mademoiselle.
-Bonjour Monsieur.
-C’est vous Sophie Perrin ?
-Oui.
-Qu’est-ce
que vous faites là encore ?
-Je
suis dans l’université. Et j’informe les gens. »
Le
vigile, l’air mi-surpris, mi-dubitatif : « Vous informez les
gens ? »
Moi,
lui tendant un tract : « tenez »
Le
vigile, poliment : « Non, merci, je l’ai déjà »
Moi :
« bon ». Puis, réalisant qu’il me parle toujours depuis une distance (de
sécurité ?) de dix mètres, pas moins : « vous savez, je ne mords
pas, je ne griffe pas, je…ne taze pas, je ne matraque pas, on peut m’approcher
sans danger en principe : comme vous. D’accord ? »
Le
vigile, d’un ton très réservé : « moi, je travaille ».
Moi,
du même ton que lui : « moi aussi d’une certaine manière. Mais pas de
la même »
Le
vigile s’est – enfin… - approché à distance de conversation normale. Il reste
sceptique sur nos points communs : « Vous, c’est pas du
travail ».
Moi : « ben, si, informer les gens, c’est du boulot »
Il
me demande ce que c’est, cette action « d’information », exactement.
Comme je n’ai rien à cacher, parce que je ne fais rien d’illicite depuis trois
ans, je lui réponds : « là en l’occurrence mon objectif c’est
d’informer les gens qui sortent du CA »
Le
vigile : « Du CA ? »
Moi :
« Je n’envahis pas le CA, simplement, j’informe : je pense que c’est
une action qui peut faire consensus et ne pose pas de problème ? »
Le
vigile marque un temps de silence, d’hésitation, avant de me répondre :
« Je sais pas…je ne partage pas votre avis, forcément. »
Moi :
« pourquoi ? »
Le
vigile : « eh bien, d’abord il y a plusieurs autres moyens d’informer
les gens. Vous pouvez envoyer un courrier, vous pouvez envoyer des mails,
-Ah,
envoyer des mails, c’est ce qui m’a valu une procédure pénale. Voyez. »
Le
vigile, rebondissant : « Mais ça aussi ! Ca aussi ! »
Moi :
« Ca aussi ? Comment ça ? Expliquez-moi »
Le
vigile : « Ah. Vous voulez que je vous explique ? »
Moi :
« Ah ben oui »
Le
vigile : « d’accord. Vous ne pouvez pas faire du tract sur un lieu où
l’on ne vous a pas donné l’autorisation. Peut-être vous pouvez le faire sur la
voie publique. En l’occurrence, ici, dans l’enceinte de l’université, qui est
dirigée par quelqu’un qui ne vous a pas donné l’autorisation, en l’occurrence,
vous êtes en INFRACTION »
Moi :
« Hmm…heu…en vertu de quels textes ? »
Le
vigile, reprenant : « Parce que vous n’avez pas
l’autorisation. »
Moi :
« Pour diffuser des tracts ? »
Le
vigile répète : « à l’entrée, sur la voie publique, vous avez tout à
fait le droit, mais pas dans l’enceinte de l’université…ça peut vous apporter
aussi des ennuis judiciaires »
Moi :
« Alors, je veux bien, mais je veux voir le texte qui interdit
explicitement ça. Parce que vous savez que tout ce qui n’est pas interdit par
la loi ne pose pas problème, normalement. »
Le
vigile : « si votre tract est de nature à causer des ennuis aux
dirigeants de l’université, et que vous venez en plus à l’intérieur de
l’université… »
Moi :
« Ahhhhh… »
Lui :
« …eh bien ils pourront vous poursuivre. »
Moi :
« Eh bien ce tract, je suis en train de le distribuer aux dirigeants de
l’université, donc, vous pouvez dire, ils seront effectivement les premiers à
me causer des ennuis s’ils l’estiment nécessaire après avoir lu ce tract »
Un
type, qui semble être un supérieur hiérarchique de vigiles, passe alors :
« je peux l’avoir ? »
Moi,
lui en donnant un : « tout à fait, c’est fait pour ».
Je
reprends ma conversation avec le vigile : « voyez pourquoi
quelque part mon action, elle est équitable, aussi ».
Le
nouveau venu objecte : « de toute façon, il n’y a plus personne, à
cette heure-ci… »
Moi :
« si, il y a le CA. »
L’un
des deux, à l’autre : « oui, il y a le CA, ils vont finir
tard ».
Moi :
« J’attends ceux qui sortent. C’est pour ça que je suis là à cette
heure-ci.
Et
je trouve ça plus efficace quelque part, que de venir à 15, tenter d’envahir un
CA, se bugner avec vous et vos collègues…à un moment, on peut discuter, quoi.
Voyez.
Ce
qui s’est un peu perdu dans la fac ces dernières années je trouve. Quand même.
Enfin moi, ça me fait pas plaisir, quand j’apprends que des gens que je
connais, ils se sont ramassés des coups de lacrymo dans la tronche, et ça me
fait pas plaisir non plus pour ceux d’en face, parce que je connais aussi des
gens qui sont à l’intérieur. »
Le
vigile marmonne « il n’y a pas de lacrymogènes ». Je réponds :
« fin 2011, on sait tous ce qui s’est passé et, enfin on va pas faire la
liste, mais il faut que ça s’arrête, à un moment ».
Le
chef s’éclipse à cet instant, très rapidement : « bonne soirée, bon week
end » - « vous aussi, au revoir ». Immédiatement suivi du
vigile, qui me répond juste, sur 2011, un : « je n’y étais
pas », l’air gêné, presque, pas fier en partant.
Je
reprends mon attente silencieuse, bientôt ponctuée des allées et venues de
types très bien habillés, qui transportent des charges lourdes entre l’allée
goudronnée et la présidence : quand il ne reste « personne »,
dans l’université, il reste encore les petites mains. Celles qui transportent,
par caisses entières, les verres à pieds pour un cocktail manifestement prévu
pour ce soir.
Celles qui inventent un système ingénieux de relais de caisses pour que la
fameuse porte (celle de fort knox) ne se referme pas à chaque fois. Parce que
même s’ils ont le passe, avec les caisses, c’est galère. Je leur propose de
leur tenir la porte, mais en fait, leur système marche bien, et je retourne les
observer depuis l’escalier…
Une
bonne demi-heure plus tard, voici l’élu étudiant de la FAGE qui sort du CA. Me
voyant, il me signale, de suite, que ça va finir tard. Je lui réponds que vu
que mes affiches n’ont pas tenu, moi aussi, je vais terminer tard…
Peu
après, j’aperçois le vigile entrant dans fort knox par la porte. Ca, ça sent
celui qu’on a chargé d’aller chercher des consignes en plus haut lieu, me
dis-je.
Vingt
minutes plus tard environ, une femme sort de fort knox. Je lui tends le tract.
Elle me fait signe qu’elle n’en veut pas. Elle a, elle-même, un papier, ou
plutôt une liasse de papiers, à la main. Elle m’informe que je n’ai pas à
distribuer des tracts ici, du ton qui ne prête pas à discussion.
Le vigile est à côté d’elle.
Je
demande : « Pourquoi ? ».
Elle répond : « Parce que vous n’êtes ni usager ni personnel de
l’université. L’accès aux locaux est strictement réservé aux usagers et
personnels de l’université »
Le
vigile : « c’est ce que je vous ai dit tout à l’heure »
Moi :
« C’est nouveau… »
Elle :
« Non. C’est dans le règlement intérieur de l’université ».
Ah, voilà donc ce qu’est la liasse qu’elle a bien en main…avec diligence, elle
me montre le paragraphe.
J’avais compris, vu sa manière de me parler, « étudiant.e ».
Je lis, « usager.e ».
Je réponds : « Mais un usager, c’est pas forcément un étudiant :
c’est marqué usager, madame ».
Elle :
« Et c’est quoi, pour vous, un usager ? »
Moi :
« Un usager, c’est quelqu’un qui vient consulter des livres à la BU, c’est
quelqu’un qui vient discuter dans les campus, … »
Elle :
« Dans les statuts de l’université, un usager est un étudiant »
Moi :
« Où ça ? »
Elle :
« je n’ai pas les statuts avec moi, mais de toute façon votre tract n’est
pas l’annonce d’un événement culturel ni syndical : il concerne une
situation personnelle »
Moi :
« Ah oui ? Créée par l’université sous l’ancienne
mandature ! »
Elle :
« Certes, mais on vous demande de le distribuer à l’extérieur du
campus »
Le
vigile, renchérissant : « c’est ce que je vous expliquais tout à
l’heure : à l’entrée de l’université, ça ne dérange personne »
Elle :
« vous êtes libre de déranger à l’entrée de l’université… »
Moi :
« Je suis libre de déranger à l’entrée de l’université ?!
Intéressant comme lapsus !
En
quoi est-ce que cette distribution dérange, dans le campus ? »
Elle :
« Elle ne dérange pas : elle n’est pas autorisée »
M
oi :
« comment ça, elle n’est pas autorisée ? »
Elle :
« votre tract n’a pas la valeur des tracts qui on l’autorisation d’être
distribués sur les campus »
Moi :
« c’est à dire ? »
Elle :
« C’est à dire une valeur syndicale ou l’annonce d’un événement culturel.
Il concerne une situation personnelle »
Moi,
reprenant ma respiration : « D’origine syndicale et culturelle ?
[Il y a trois syndicats parmi les signataires du communiqué…je les cite, montrant leurs signatures du doigt sur le tract] « CGT
éduc’action », « Confédération Etudiante », « Fédération
Syndicale Etudiante » »
Elle,
parlant en même temps que moi : « oui, mais ce qui est stipulé à
l’intérieur, concerne une situation personnelle… »
Moi :
« et alors ? Le travail des syndicats, c’est aussi d’informer sur les
situations personnelles »
Le
vigile : « oui, mais les syndicats, ils vous défendent vous. Mais en
aucun cas vous ne vous présentez vous-même pour défendre votre cause »
Moi :
« mais les syndicats ne peuvent pas discuter à ma place avec les
personnes… »
Le
vigile : « eh bien si »
Moi :
« …pour montrer que je ne suis pas la folle furieuse véhémente, violente,
harcelante etcaetera, qui est décrite dans le dossier monté par l’université et
que j’ai la réputation d’être dans ce lieu. »
Elle :
« peut-être. Mais ce n’est pas un tract syndical même s’il est signé par
des syndicats : il parle d’une situation personnelle »
A
cet instant, Jean-Baptiste Martin, professeur émérite en anthropologie et
ex-doyen de la faculté de sociologie-anthropologie, passe par là.
Moi :
« Ah ! Monsieur Martin ! Bonjour ! Est-ce que vous êtes au
courant ? »
JB
Martin : « De quoi ? »
Je
lui tends le tract : « Tenez. Ils ne veulent pas que je le distribue
dans l’université. On atteint des extrêmes ! Donc vous êtes le dernier,
voyez, qui l’aura aujourd’hui : ça s’appelle la liberté d’expression dans
un campus moderne au 21e siècle. »
Mais
les autres veulent reprendre la parole sur le mode précédent…aussi, je
fais à Jean-Baptiste Martin : « Ah. Attendez. Avant que vous
partiez, quand même, comme ça il y a un témoin à la discussion »
Tous
reviennent sur le fait que puisque le règlement, etc…
Moi :
« on est d’accord, OK. Mais voyez, après, il y a des organisations
syndicales qui font des actions d’envahissement du CA, vous avez des graffitis
sur la porte de la DAJIM [service juridique], et quand des gens viennent
distribuer simplement des tracts, vous les faites refouler. »
Elle,
marmonne à propos des fameux graffitis…
Moi :
« oui, mais ce que je veux dire, moi, c’est qu’il y a une logique qui
conduit à ce genre de réactions de la part de certaines personnes. Moi je
viens, j’envahis pas le CA, je distribue de l’information, et vous me traitez
comme ça.
Après, vous allez vous étonner que des personnes plus jeunes, et qui je dirais,
sont plus fougueuses, vont réagir de manière plus vive que moi à ce genre de
choses, d’accord ? L’université fait des choix. C’est un peu
problématique. »
Elle :
« en l’occurrence en application du règlement intérieur… »
Moi :
« Et, autre chose, l’université me reproche à moi [via sa plainte pénale notamment] d’avoir mis des affiches
sur les arrêts de tram, qui nuiraient à l’image de l’université, d’accord, des
affiches qui étaient de ce type d’ailleurs [comme le tract de vendredi 28
juin], mais quand je viens dans les campus, au lieu de sur les arrêts de tram,
ça ne nuit pas à l’image de l’université, puisque c’est à l’intérieur, et qu’on
discute à l’intérieur de l’université, c’est à dire dans la sphère concernée.
Vous préférez que ça [les tracts du jour], après-demain, ça soit sur les arrêts
de tram, en information ? »
Mon
interlocutrice répète alors que personnellement, elle ne préfère rien du tout,
et n’est là que…que pour me relater et faire appliquer le règlement intérieur.
Moi :
« Je sais. Simplement, vous pouvez faire remonter ce que je viens de vous
dire, pour que l’université fasse ses choix en connaissance de cause :
moi, je ne cherche pas l’escalade, je ne cherche pas l’escalade depuis trois
ans. J’ai cherché la désescalade au contraire depuis trois ans, mais j’ai eu
une présidence, sous Tiran, qui a cherché ouvertement l’escalade, et une
nouvelle présidence dont je ne sais pas bien ce qu’elle cherche, et j’ai
l’impression, qui ne sait pas bien ce que je cherche non plus parce qu’on ne se
connaît pas, tout simplement, d’accord ? »
Elle
(d’un ton sincère) : « d’accord, je ferai remonter »
Moi :
« D’accord. Donc comment on fait, sur ce passif de l’ancienne présidence,
comment on fait, quels choix sont faits, c’est un peu ça mes questions. Et
c’est aussi pour ça que je viens distribuer l’information aux membres du
CA »
Elle
répète qu’elle me demande néanmoins de la distribuer…dehors.
Moi :
« simplement, sur le trottoir, je ne peux pas voir qui sort du CA, et qui
ne sort pas du CA, donc l’information sera distribuée de manière plus
généraliste…et ceci dit, sur les arrêts du tram, les affiches tiennent deux
jours, tandis qu’ici, elles ne tiennent même pas une journée, donc pour moi
c’est aussi plus « rentable » sur les arrêts du tram…c’est une petite
parenthèse qui peut être remontée aussi.
Elle :
« d’accord »
Moi :
« Au revoir »
Elle :
« Au revoir »
Moi : « Euh, vous êtes qui statutairement, dans l’université, au fait ? »
Elle
me répond en me donnant ses fonctions dans l’université (que je n’écris pas
ici, pour maintenir l’anonymat).
Moi : « Ok. Je vous remercie. Au revoir », et je pars.
Mais
mes heurts et malheurs dans les campus ne sont pas tout à fait finis : je
suis suivie par le vigile, en mode bien connu depuis deux ans et demi.
En mode « je te colle derrière jusqu’à ce que tu sortes des campus où tu
n’as pas à être ».
Rah, décidément, c’est dur le changement…
Je
repère, au milieu de la jolie cour intérieure, des bancs, paisibles et
attirants, et me dirige vers l’un d’entre eux pour m’y poser ostensiblement.
Arrivée là, depuis ma nouvelle position, bien assise, j’envoie au vigile un,
ferme : « par contre, je ne suis plus interdite d’accès aux campus.
Donc voilà ».
Le vigile s’arrête à dix mètres, puis fait demi-tour…donc, voilà. Et je reste,
enfin tranquille, sur le banc. Au milieu de la cour intérieure.
Jean-Baptiste
Martin passant par là quelques minutes plus tard, nous pouvons enfin échanger,
en toute tranquillité, des nouvelles l’un de l’autre…avant qu’il n’aille
rejoindre, autour de la salle marquée « remise de légions
d’honneur », le cocktail dont les verres circulaient précédemment…et dont
l’assemblée, grandissante, brouilla totalement qui sortait, ou non, du fameux
CA.
Voilà comment se passe un après midi dans les campus, lorsque le dangereux
élément extérieur que je suis y met les pieds. Ca fait peur, hein ?
De
retour chez moi, je passe par un cybercafé pour regarder en détails ce fameux
règlement intérieur de Lyon 2.
Parce que c’est toujours bon de connaître les textes.
Et
là, surprise, je lis :
"PREAMBULE
Réaffirmant
son attachement aux valeurs républicaines et démocratiques, l'Université Lumière Lyon 2 entend
garantir le bon accomplissement de ses missions de formation et de recherche en
organisant sa vie collective, en complément de ses statuts, par le présent
règlement intérieur. "
Fort
bien. Bon début.
Précisons
que ce règlement intérieur a été adopté à l'unanimité du CA, le 1er
juillet 2011.
"TITRE 1.
- LES LIBERTES
Article 1 -
Libertés et droits fondamentaux
La liberté
d'information, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté
syndicale et le droit de grève et, plus
généralement, l'ensemble des libertés et droits fondamentaux sont garantis au sein
de l'Université.
Les personnels
et les usagers de l'Université exercent ces libertés fondamentales dans des
conditions qui ne troublent pas l'ordre public et ne portent pas atteinte aux
activités d'enseignement, de recherche et d'administration conduites en son
sein."
On ne peut attendre moins d'un règlement intérieur. Si je lis
bien, j'étais bien dans ce cadre, vendredi 28 après midi. Pourtant, on est venu
me…je n'ose dire le mot…harceler jusqu'à ce que je renonce, faire peur en me
menaçant d'autres poursuites judiciaires si je continuais à être là ainsi au
sein des campus : pour dialoguer.
Au sein des campus ?
"Article
2 - Accès
Sauf
autorisation spéciale, l'accès aux campus et aux différents locaux de
l'Université est strictement réservé aux
usagers et aux personnels de l'Université.
(…)."
Le règlement intérieur a été voté à l'unanimité du CA, donc cet
article a été approuvé par les syndicats qui étaient pour une université plus
"ouverte" sur l'extérieur. Ou bien, comme ce 28 juin, ils étaient
absents ? Les absents ont toujours tort…
Cet article pourrait être discuté. Mais du fait
qu’il a été adopté à l’unanimité des présent.e.s, il ne se discute pas. On
discutera donc, dans l'immédiat, de la notion d'usager. Les statuts de Lyon 2 évoquent
uniquement "l'usager" au sens électoral (c'est à dire qui doit être
inscrit.e sur les listes électorales de Lyon 2 dans le collège
"usagers" - attention, si vous êtes "auditeur libre", vous
devez pouvoir voter aux élections, collège usager, dans Lyon 2 !). Ils ne
l'évoquent pas au sens de la jurisprudence administrative, qui en donne un
contour plus vaste encore.
En aucun des deux cas, "usager" ne se restreint, en
effet, à "étudiant" : " En France, il n’existe pas de définition
légale d’usager. C’est la doctrine et la jurisprudence qui ont précisé cette
notion.
Nous verrons combien complexe est ce concept, au-delà de son acception la plus
courante, car ce terme recouvre plusieurs réalités, au contraire de son emploi
souvent univoque. Stricto sensu, l’usager est le bénéficiaire des
prestations d’un service public déterminé" (source : http://www.h2o.net/magazine/enjeux-politiques-de-l-eau/l-information-et-la-participation-des-usagers.htm).
La jurisprudence a d'ailleurs admis, notamment, que le candidat usager pouvait
être assimilé à un usager effectif (T.C. 17 octobre 1966, Veuve Canasse). Bref,
je peux en parler à mon avocat si besoin, puisque c'est à la mode, de devoir passer par un tel ministère…
…passons plutôt à l'objet du litige :
"Article
5 - Distribution et diffusion de tracts et autres documents:
Les tracts,
avis et communiqués d'origine syndicale et culturelle peuvent
être diffusés dans l'enceinte de l'Université par ses personnels et ses
usagers. A l'exception de l'information concernant des événements culturels, la distribution dans l'université de documents de caractère
publicitaire ou commercial est interdite.
Tout document
diffusé doit comporter l'indication de son origine. Les organisations qui
signent ou diffusent ces
documents sont responsables de leur contenu."
La direction n'a donc rien à
dire sur le contenu du tract, avis, communiqué, dès lors qu'il est d'origine
syndicale ou culturelle. Et ça, ça n'est pas moi qui le dis : c'est le
règlement intérieur lui-même.
Mais passons aux fameuses
affiches.
"Article
6 - Affichage
Des panneaux
d'affichage libre sont mis à
la
disposition exclusive des personnels et des usagers de l' Université.
En outre, des
panneaux d'affichage spécifiques sont mis à disposition des organisations syndicales sur chacun des
deux campus dans des locaux facilement accessibles.
L'affichage
est interdit en dehors des emplacements prévus à cet effet. Les affiches doivent mentionner la désignation
de leurs auteurs. Leur contenu est placé sous leur entière responsabilité.
Sauf pour les
événements présentant un caractère culturel marqué, l'affichage de nature
publicitaire ou commerciale est interdit."
OK d'accord. Mais pourquoi en pratique, ces panneaux d'affichage
libre sont monopolisés par des affichages publicitaires et commerciaux,
qu'aucun vigile ne vient arracher ? Pourquoi cette préférence, dans les
consignes et/ou les pratiques, pour l'arrachage des affiches syndicales (la FSE notamment,
rencontre régulièrement sur ce campus des quais, les problèmes que j'ai
rencontrés vendredi 28 juin après midi) ?
Et que signifie cette utilisation, spécieuse, du réglement intérieur, pour faire dégager une diffusion de tracts qui (lapsus) "dérangent" ?
Allez,
on s'arrête là pour aujourd'hui. Mais le respect du règlement, ça n'est pas à
sens unique.
Les
lacrymos de fin 2011 et les brutalités physiques, bien réelles :
"
Quoi que dise la Présidence de notre Université, ces deux votes ont eu lieu dans des conditions détestables. Deux semaines de suite les membres du Conseil d'Administration ont été encadrés par des vigiles d'une société privée pour les "protéger" d'une manifestation étudiante dont l'ambition légitime était de protester contre l'éventualité du passage aux RCE et de l'acceptation de l'IDEX. S'il y a eu des incidents violents, il faut rappeler ici que ce sont les
vigiles [privés recrutés temporairement pour ces CA], sans aucune connaissance
de notre milieu et des pratiques politiques des militants étudiants, mais de
toute évidence avec l'autorisation de la Présidence, qui ont fait usage d'armes
de deuxième catégorie (bombes lacrymogènes) au sein même des locaux de
l'Université contre les usagers de cette Université.
On est surpris du peu de
réaction que cette agression envers nos étudiants a suscité."
C'est depuis ce jour, je crois, que fort knox existe dans Lyon 2.
Il est également intéressant de lire quels autres points étaient débattus lors du CA du 1er juillet 2011, celui lors duquel a été voté, à l'unanimité, le réglement intérieur qui ne m'interdit pas de distribuer des tracts dans les campus, mais ferme néanmoins l'université Lyon 2 aux personnes classifiées "non usagers" :
"Alors que le Conseil d'Administration n'avait pas approuvé, le 1er juillet 2011, le passage anticipé aux Responsabilités et Compétences Elargies (RCE), le Président André Tiran a décidé d'organiser un nouveau vote sur le même sujet ce vendredi 18 novembre. Après avoir empêché, lors de CA précédents et à plusieurs reprises, les élus de soumettre au vote des motions dont le contenu ne lui convenait pas, le Président a donc décidé de faire « revoter » le passage aux RCE, bafouant de fait le vote exprimé par la communauté universitaire le 1er juillet. Bien entendu, le Président n'a jamais appliqué cette démarche - que nous estimons être un véritable déni de démocratie - à d'autres, notamment celui concernant la réforme de la mastérisation (pourtant entérinée en 2009 à une voix près). Ce déni de démocratie a créé au sein de notre université un climat tendu, voire de l'exaspération."
Les statuts de Lyon 2, disent que la règle (dont le président est le garant...), c'est que lorsqu'un.e élu.e au CA y présente une motion, elle doit être mise à l'ordre du jour.
C'est le non respect de cette règle par la commission permanente, tenue ce jour-là sous l'égide d'un vice-président, qui a conduit, 2 ans plus tard, à ce que la motion portée conjointement par la FAGE, la FSE et la CE à mon propos, soit à son tour mise aux oubliettes de l'Histoire.
C'est l'absence d'opposition unitaire et déterminée à ce mépris pour les règles, qui permet qu'il perdure.
je suis impressionné (par ton calme surtout) à paris, il m'est arrivé de me faire contrôler pour ma carte d'étudiant une fois à l'entrée, et une deuxième fois... 15 secondes plus tard, par un vigile qui pensait que j'étais un touriste en visite. à paris 6, j'attend à l'entrée de la fac un pote en exam. Arrivent deux vigiles "Monsieur vous êtes étudiant ici? vous pouvez attendre un peu plus loin s'il vous plait?" "Heu pourquoi je vous fais peur?" (un peu ironique j'avoue) un des deux "Bon, tu te casses ou j'appelle les flics!" suit 10 minutes agités (je n'étais même pas à l'intérieur!)
RépondreSupprimerBon, c'est pas pareil que ce que tu as vécu, mais juste pour dire que le dispositif policier des facs, je vois bien... courage! (en lisant ton écrit, je trouve que ça donne envie de te connaitre en vrai! tu as donc atteint ton objectif en partie)
Merci de ce mot.
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre que "dispositif policier" soit le terme exact pour définir la situation...au boulot, j'ai des vigiles normaux, et c'est très différent du coup.
C'est plutôt "dispositif de sécurité détourné à des fins paranos très orientées contre tout c'qui bouge", qu'il faudrait dire, je crois.
"Tout c'qui bouge", étant tout ce qui ressemble à du militantisme pour un autre futur, voire un autre présent. Voire simplement quelqu'un qui vient rendre vie à la fac.
Quand on confond "vie" et "bordélisation destructrice", c'est inquiétant... ça peut donner des coups de matraque sur tout ce qui bouge, ce qui est bien différent de "faire respecter des règles décidées ensemble" (comme on fait en AG par exemple, et où concrètement, on veille aussi à la sécurité et à l'ordre dans les campus qu'on occupe, mais selon le mandat donné par l'AG - qui est notre instance législative - au lieu de fonctions données par la direction d'une université - qui est l'instance "législative" de l'université).
Nous aussi d'ailleurs, on peut faire des services d'ordre et des patrouilles de sécurité parano ;-)