Comment en vient-on à tolérer l’intolérable, le sort des chômeurs, des nouveaux pauvres, mais aussi des conditions de travail qui mettent en danger notre santé mentale ? », c’est la question qui sert de fil conducteur aux travaux de Christophe Dejours.
Un fil conducteur qui m’intéresse. Comment en vient-on à tolérer des situations intolérables, sur son lieu de travail ?
(...)
Ce soir, nous accueillons Christophe Dejours et Pascale Molinier.
Ils travaillent tous deux au CNAM, en psychodynamique du travail, un nom long et d’aspect compliqué mais en fait c’est très simple.
J’ai déjà un peu présenté Pascale Molinier en son absence, donc je n’y reviens pas. Je ne la cite par ailleurs pas ce soir, mais c’est parce que c’est dans la conclusion qu’elle est citée.
Eh oui, il y a une conclusion un jour, même si, lecteur, lectrice, ce jour m’est aussi inconnu qu’à toi, qu’à vous, et même, je crois, s’il dépend un peu de vous (juste un – gros - chouilla). Attention, conclusion de cette histoire-là qui se déroule et s’écrit depuis début juillet. Pas fin de l’histoire. Nuance.
C’est un article qui parle de réalités qu’on peut vivre, de ci, de là, en ce moment.
Hier, [maintenant avant-hier, quoi ... par la faute de la multinationale gmail qui plafonne rapidement le nombre de destinataires d'un courriel] n’était-il pas question ici-même de France Télécom, cette boîte maintenant sinistrement célèbre ?
L’article dit
« Alors que les directions d’entreprise persistent à ne voir que des drames individuels, le psychiatre Christophe Dejours souligne le rôle délétère des organisations du travail qui ont déstructuré le « vivre ensemble ».
Comment en vient-on à tolérer l’intolérable, le sort des chômeurs, des nouveaux pauvres, mais aussi des conditions de travail qui mettent en danger notre santé mentale ? », c’est la question qui sert de fil conducteur aux travaux de Christophe Dejours.
Un fil conducteur qui m’intéresse. Comment en vient-on à tolérer des situations intolérables, sur son lieu de travail ?
Comment en vient-on à tolérer, par exemple la situation décrite tout en bas de ce courriel. Mais aussi d’autres, peut-être moins caricaturales mais tout aussi abjectes, et restées dans le silence et l’indifférence (au lieu de seulement l’indifférence).
Le vivre ensemble au travail et sa déstructuration, cela ne concerne pas les universitaires et l’ensemble des chercheurs.euses, à l’heure où l’on va pouvoir faire du « benchmarking » entre labos grâce aux notes fournies par l’AERES (ouh, ils ont eu C) ?
Le suicide au travail, c’est un peu le stade ultime d’une dégradation du vivre ensemble, nous laisse entendre Christophe Dejours. On n’est pas obligé.e.s d’en arriver là. Néanmoins, ce qu’il décrit peut nous concerner sans en arriver là.
Pardon. Le suicide ne nous concerne pas sauf que j’oublie l’hypothèse selon laquelle un doctorant, à Lyon, se serait jeté par la fenêtre car « victime d’une guerre de laboratoires ».
Donc peut-être il nous concerne, peut-être pas. Peut-être que c’est la bonne hypothèse concernant le suicide de ce doctorant, peut-être pas. Il est parti sans rien dire, on ne saura pas.
Le doctorant s’appelait Léo Thiers-Vidal. J’en ai déjà parlé ici durant l’été.
Mais Christophe Dejours continue
Christophe Dejours. Une seule mort, c’est déjà une tragédie du point de vue du fonctionnement de l’entreprise. Les suicides ne survenaient pas autrefois sur le lieu de travail. Quand un suicide de ce type se produit, c’est que quelque chose a changé. Ce que cela révèle, c’est une déstructuration en profondeur de tout le tissu social du travail, tout le vivre ensemble dans le travail, sous la forme de l’attention à l’autre, le respect de l’autre, la camaraderie. Les gens sont très nombreux quelquefois, y compris sur un plateau clientèle, dans des open spaces, et en même temps, chacun est seul. Quand quelqu’un commence à présenter des signes de souffrance, de dépression, de tristesse, d’irritabilité, personne ne bouge. Autrefois, vous ne laissiez pas, dans un collectif de travail, un collègue s’enfoncer sans intervenir au bout de deux ou trois jours : « Qu’est-ce qui se passe ? » Il y avait des solidarités très fortes. Les gens se regardaient, se parlaient. La prévention du suicide était faite par tout le monde, les copains, les collègues. Le vivre ensemble, c’est une prévention du suicide. La solitude est un élément déterminant du suicide sur le lieu de travail. »
L'employée de bureau lambda - l'ouvrier.e en bleu de travail n'existe plus, lui.elle, en photos sur internet...pourtant, son isolement n'est pas moindre. |
Je me permets une nuance : à France Télécom, pour reprendre cet exemple (quasi-paradigmatique, pour le dire en vocabulaire d’universitaire), on voit bien qu’il n’y a pas seulement eu de la solitude. Il y a eu une intentionnalité de démolition systématique d’un « être ensemble », d’un « mode d’être ensemble » des salarié.e.s. Intentionnalité pilotée par une haine très agressive envers la fonction publique et les valeurs (de service public) portées par ses agents. Michel Bon et ceux qui l’ont commandité détestaient nos valeurs.
Exemple parmi d’autres : j’ai eu des CDD « d’été » car j’étais enfant d’agent. Or, entre 1996 et 1997 environ, cette pratique de recrutement a totalement cessée, d’un coup : l’objectif, selon les ouïes dires rapportés par mes collègues titulaires syndicalistes, était de « changer la culture de l’entreprise ». Les fonctionnaires et les enfants de ces fonctionnaires, il fallait casser cela. Dans ces années, ont été mis en place des plans de départ en préretraite en interne à nous faire saliver aujourd’hui … quand on voit la moyenne d’âge des fonctionnaires de la boîte à l’époque, on comprend bien que cela entrait dans le même objectif, rendu par suite crédible plus qu’un simple ouïe dire : nous, la mémoire et la manière d’être ensemble au travail que nous portions, quelles que soient ses qualités et ses défauts d’ailleurs, il fallait que cela disparaisse. Parce que ce qui était bien, c’était « le commercial », et pas le service public (ni les infrastructures techniques, non commerciales – il est frappant d’entendre qu’aujourd’hui, un manager de FT peut nommer les techniciens les « égoutiers de France Télécom », sans aucun respect d’ailleurs pour les égoutiers, en passant).
Dans l’intentionnalité de démolition de ce mode d’être ensemble, perçu comme mauvais par le groupe social ici représenté par Michel Bon, entraient et entrent, on en a vu un ou deux échantillons, des pratiques nommables comme « harcèlement », « mises au placard », etc.
« Quand quelqu’un est pris tout à coup sous le feu d’un harcèlement, de quelqu’un qui commet contre lui des actes manifestement injustes, des discriminations, qui le place dans les postes les plus difficiles, cela n’a rien de nouveau dans le monde du travail. En revanche, ce qui est neuf, c’est que, lorsque vous êtes pris comme cible d’un tel comportement, personne ne bouge. À ce moment-là, vous faites l’expérience de la trahison du collectif. Ce n’est pas une simple solitude, c’est une trahison. »
Il fallait le dire, merci Christophe Dejours.
C’est une trahison, et non une simple solitude.
Le pire, et au moins une personne hormis moi peut ici en témoigner, c’est quand ses propres camarades en viennent à ne pas bouger, voire à vous délaisser, dans une telle situation.
Mais venons-en à la concurrence, vous savez, ce fait que si nous sommes mis.es en compétition les un.e.s avec les autres, ça va améliorer notre rendement, du.de la doctorant.e au prof émérite, en passant par l’agent de catégorie B d’une administration quelconque.
Notamment, les évaluations de l’AERES où l’on peut lire des commentaires visant, de manière à peine masquée, des individus ciblés dans le labo évalué – exemple : « La cohérence (et/ou l’orientation) théorique sur certains thèmes de recherche (le travail, l’urbain) est à améliorer (et/ou revoir) » (on est au MODYS, laboratoire de sociologie lyonnais fusionné depuis l'époque de rédaction initiale de ce courriel, au sein du centre Max Weber).
Ce qui dans le monde de la recherche se traduit par des évaluations chiffrées (pour l’instant, officiellement du moins, par labos), est bien connu ailleurs depuis quelques (ravageuses) années déjà. Soit on y adhère et on s’y fait détruire, soit on se met en recul et on tente de s’en distancer comme c’est possible de le faire, et de lutter contre, à sa mesure.
Christophe Dejours. L’élément principal dans les transformations de l’organisation, c’est l’introduction des méthodes d’évaluation individualisée, fondées prétendument sur des bases scientifiques, qui passeraient par une mesure quantitative et objective des performances. Ces méthodes mettent en concurrence les individus entre eux. Si, à l’évaluation, vous ajoutez des sanctions, ne serait-ce qu’une prime, en quelque temps, les gens commencent à avoir des conduites qui cassent le vivre ensemble : concurrence déloyale, coups bas, tuyaux pourris, dénonciation du voisin. (…) L’évaluation individualisée monte les gens les uns contre les autres, elle ne fait pas l’émulation. (…) la méfiance fait son entrée, la déloyauté remplace la loyauté… »
Allons, toute ressemblance avec une certaine ambiance, de plus en plus présente à l’université par exemple, ces dernières années. En particulier peut-être, depuis 2008, étrangement. Toute ressemblance serait, vraiment, fortuite.
Et de tout cela, qu’est-ce qu’on fera ?
Je dis « on », alors que "vous" avez accepté si facilement que je sois exclue de ce « on » …
Comment on en sort ? La recette de Christophe Dejours, couchée là sur le papier, semble si succinte. Mais cela peut-il être moins complexe ? Je ne crois pas.
Christophe Dejours. C’est à partir de l’expérience que les uns et les autres ont du travail qu’on va pouvoir comprendre quelque chose sur ce qui a conduit au geste suicidaire d’un collègue [ou à une ambiance aussi pourrie]. Pour avoir accès à cette expérience, on ne peut faire autrement que passer par la parole. Mais il ne s’agit pas d’une espèce de catharsis, où les gens parlent, et voilà, ça va mieux. Il s’agit de mettre en place un espace de délibération sur la question du travail qui permet de comprendre ce qui ne va pas dans le travail et débouche sur la possibilité de le transformer. Le simple fait de s’engager dans ce processus modifie le rapport : on reprend la main sur les événements. »
Et là, en conclusion, vous allez me dire, oui, d’accord, pour une fois, la doctorante croisée dans le tram, ne pourra plus me reprocher d’être passée à côté du réel nommé « bibliométrie », « AERES » et compagnie.
Mais je suis un peu hors sujet par rapport à mon sujet de recherche, en revanche ?
Ah oui ?
On dirait la voix off qu’essaie de m’coincer, tiens.
Ben voilà ce que je réponds.
Il est pas encore né,
Que la voix off se l’tienne bien pour dit
C’lui qu’arriv’ra à m’coincer.
Et toc.
La voix off, comme le veut la coutume,
Elle est off.
Passons à mes travaux, pendant qu’elle se tait.
« Et finalement, les ex de Danielle deviennent pour certain/e/s ses ami/e/s : elle a beaucoup d’ami/e/s, qui sont aussi des confident/e/s important/e/s pour elle.
3) Le rôle du travail
L-Ah oui oui. (…) Là euh, Marc m’a dit ben oui mais tu vois [inaudible] mais regarde les étrennes que t’as eues. Ca prouve bien que les gens t’estiment et … c’est vrai que j’ai eu des belles étrennes quand même. (…) J’ai toujours eu de belles étrennes, mais malgré ça, je me dis c’est pas parce qu’ils m’aiment bien, c’est parce que dans l’année, je leur ai rendu des
Paulette-Ah oui, oui. Oui, quand même. C’est à dire que, maintenant, j’oserais plus dire à voix haute que, que je valais rien, que je savais pas de quoi je parlais, parce que j’aurais peur que les gens se fichent de moi.
M-(rire, puis dit sur le ton du clin d’œil :) Mais ça t’arrive de le penser ?
P-Heu, pas tout à fait, mais ça m’arrive de penser que quelques fois euh, j’avais pas tout à fait assez travaillé un aspect du problème.
M-Hmmhmm. Ouais. Des petits restes comme ça.
P-Ouais. Non c’est à dire le côté perfectionniste en fait »
M-(rire)
A- C’était immense, je voyais ça comme une montagne, monter dessus, se faire trimballer, mon Dieu on peut diriger ça ? Mon Dieu j’ai, j’ai les capacités de prendre les choses en main, en charge ? [pendant ce temps-là, je continue de rire] De m’affirmer ? Pfou, c’était le Pérou ! (rire) C’était extraordinaire ! »
**********************
Rappel pour les nouveaux/elles arrivant/e/s : les auditions pour les allocations recherche doctorale de Lyon 2 ont eu lieu début juillet 2010. Mais je n'ai pas été auditionnée. Pourtant, mon dossier était suffisamment excellent et innovant (thèse proposée : "l'inceste : entre impunité et luttes pour la reconnaissance", note obtenue au mémoire en master 1 : 18 et en master 2 : 18 aussi).
Cela, parce qu'il manquait un papier dans mon dossier : mon relevé de notes définitif, indisponible avant la date limite de rendu de ce dossier de candidature. Puis cerise sur le gâteau, mon directeur de thèse pressenti était professeur émérite, et l'on m'a alors affirmé que les professeur/e/s émérites ne peuvent absolument pas prendre sous leur direction de nouvelles thèses (les textes ministériels disent l'inverse).
Et j'ai peu à peu élargi la liste de mes destinataires, au cours de l'été, car quitte à faire, autant faire savoir largement pourquoi ma thèse ne pourra probablement pas se réaliser, et quel contenu se retrouve ainsi interdit d'existence, de facto, dans le champ de la recherche.
A moins qu'il y ait des solutions proposées par ceux/celles qui sont en position de le faire ?
Pour l'instant, les solutions proposées ont été :
Aujourd'hui, j'attends de l'institution et de ses représentant/e/s la reconnaissance du mal qui m'a été fait en son nom, et ma réintégration. C'est à dire la possibilité de faire mon doctorat dans ma discipline (l'anthropologie), et dans mon université (Lyon 2), avec un choix réciproque et réel de ma direction de thèse, le tout dans des conditions (matérielles et financières) reconnaissant la qualité de mon travail à sa valeur réelle.
**********************
Please consider the environment - do you really need to print this email?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire