Bonjour,
Aujourd’hui, nous accueillons plusieurs nouvelles personnes ici.
Il sera également beaucoup question d’une personne déjà membre du groupe depuis quelques temps : André Tiran.
En effet, il fut ajouté discrètement, incognito, le 11 septembre 2010.
De mauvaises langues pourraient y voir un signe, mais à cet instant, je fais remarquer que
1) il s’agit de 2010, à ne pas confondre avec 2001 : nous sommes dans un système numéral de position (légué par les arabes, merci à eux.elles pour ce don inestimable), donc « 10 » n’a rien à voir avec « 01 », sauf pour les mauvaises langues, qui sont priées de se taire, merci.
2) Le 11 septembre, c’est non pas une date en soi, comme cela l’a été, sinistrement, en 2001, mais une date qui est un lendemain. Ici, en l’occurrence, lendemain d’une non rencontre, puisqu’un « entretien » était censé avoir lieu pour tenter de solutionner une situation (ma situation), mais il n’a eu d’entretien que le nom. Par suite, j’ai décidé de convier André Tiran dans un espace plus collectif, pour plus d’échanges peut-être, dès le lendemain donc : dans le présent groupe, qui depuis a même acquis un nom, le CREA'tif.
Les mauvaises langues se tenant désormais coites, je peux ajouter que si elles ont pu si longtemps parler, c’est parce que la coutume, qui veut qu’on présente les nouveaux arrivant.e.s, n’avait, dans ce cas précis, pas été respectée.
Et qu’on les présente non par une réputation telle celle faite par les mauvaises langues autour d’une date par exemple (voir exemple ci-dessus), mais de façon nuancée et respectueuse. Même si parfois le respect s’accomode de petites piques parce qu’entrer dans le groupe CREA’tif, c’est toujours un peu rude, n’est-il pas ?
Bah, chacun.e y est passé.e à son tour, alors un peu d'indulgence pour les nouveaux.elles, par delà le ton rude d'aspect, s'il vous plait.
Avant de passer, donc, à cette présentation manquante, voici déjà celles, volontairement succintes (les RG rodent, paraît-il, alors chut), des nouveaux.elles arrivant.e.s du jour.
Nous avons tout d’abord L. et M., toutes deux étudiantes de Lyon 2, et syndicalistes ou proches du syndicat FSE.
Toutes les deux, vous remarquerez qu’il y a déjà A. et S., notamment, ici.
Pour les plus vieux.vieilles membres de ce groupe (de mon âge ou au-dessus, en gros), qui n’auraient pas suivi l’actualité syndicale étudiante au-delà des années 1990, j’explique ce que c’est que la FSE.
Durant les années 1990, nous avions l’UNEF (plutôt extrême gauche et notamment communiste) et l’UNEF-ID (plutôt PS, et avec un fonctionnement en tendances).
Vers la fin des années 1990, ces deux organisations ont fusionné, ce qui a donné « l’UNEF : le syndicat étudiant ».
Avec un fonctionnement en tendances, et une majo(rité) proche du PS.
Bref, le syndicat étudiant, pour certain.e.s situé.e.s « trop à gauche rosâtre », pouvait déplaire. Par conséquent, en gros, celles et ceux qui ne se retrouvaient pas dans le résultat de cette fusion ont finalement créé la FSE, qui ressemble peu ou prou à l’ancienne UNEF des années 1990, sans lui être tout à fait semblable pour autant…
Cela n’empêche pas l’UNEF de continuer à avoir pour slogan « l’UNEF, le syndicat étudiant », comme s’il devait n’y en avoir qu’un. Hérésie à mon sens, et d’autant plus grande s’agissant de syndicalisme étudiant, qui se construit sur des bases d’emblée plus « politisées » que le syndicalisme salarié. Les vélléités de monopartisme, c’est agaçant. En tout cas, moi, la prétention à l’hégémonie m’a toujours déplue.
Fait cocasse, aux élections de 2008, à Lyon 2, le syndicat étudiant est devenu le deuxième syndicat étudiant, derrière la FSE…
Mais avec Juliette Bergamini, secrétaire de l’UNEF Lyon, nous arrivons, précisément, au cœur du syndicat étudiant, j’ai nommé : l’UNEF.
Juliette fait partie de la majo, c’est à dire la tendance majoritaire, sinon, elle ne serait pas secrétaire.
L’UNEF a un côté très structuré, et très structurant : quand des listes sont faites pour les élections, on veille à panacher les tendances, en gros selon leur audience interne. Il existe des formations syndicales, etc. Enfin je dis ça mais c’est parce que je connais de l’intérieur. Etant peut-être en voie de changer de crémerie (syndicale), je pourrai sans doute en dire plus sur d’autres syndicats dans quelques temps. En tout cas, l’UNEF, ça sent la structure syndicale bien rôdée, ce n’est pas du bricolage, ou bien du tâtonnement permanent comme pourrait l’être une structure nouvelle. Et c’est plutôt une qualité.
Moi, j’étais adhérente via une tendance minoritaire qui s’appelait la TUUD, née essentiellement d’adhérent.e.s issu.e.s du CPE, qui au fil des mois ne se sont pas retrouvé.e.s dans la majo. A vrai dire, j’ai connu la TUUD par les médisances qui s’en disaient lors d’une manif, juste après sa création, autour de moi, de la part de gens de l’UNEF majo.
En cinq minutes à peine, la TUUD était noyée par une benne de boue, c'était impressionnant.
Là, je me suis dit : « tiens, pour qu’ils.elles en disent tant de mal, il faudrait que j’aille y jeter un œil… ». J’ai jeté un œil, et j’ai adhéré.
Juliette, à cet instant, je te précise qu’ici se trouve depuis longtemps déjà Martin Crouzet (TUUD), en soutien duquel nous avons refusé maintes fois d’entrer en réunion plénière avec vous, puisque vous prétendiez l’avoir exclu, et donc refusiez sa présence dans la salle de réunion.
Martin était un leader de la TUUD sur Lyon. Quant à l’UNEF, franchement Juliette, lorsque j’y ai participé, je trouve ça dommage, mais on aurait dit un remake permanent du dernier congrès du PS (celui de novembre 2008). Du gâchis, quoi. Du gâchis monumental. Piteux.
Ceci étant dit, tu pourras observer que se trouve également ici Emmanuel G., membre de la tendance majoritaire. Il est arrivé en même temps que Martin sur cette liste.
Depuis début 2009, j’étais en effet élue suppléante au conseil d’UFR sociologie-anthropologie avec Martin, Emmanuel et … une prénommée Juliette, secrétaire de l’UNEF.
Début 2009, je me suis rapidement dit que ce n’était pas le meilleur moment pour prendre dans les faits mes fonctions : le mouvement en cours, ses vicissitudes, sa durée, l’ambiance qu’il y avait…m’ont fait choisir de ne pas venir tout de suite. Puis j’avais un mémoire à faire, un vieux chat à la santé trop précaire à m’occuper… j’ai laissé tomber.
A l’issue de ce semestre de mouvement, la TUUD, dans les faits, n’existait plus sur Lyon, et moi, j’étais toujours élue suppléante sur liste UNEF…jusqu’à début 2011.
En septembre, j’ai donc recontacté Martin pour tenir mon mandat avec les autres élu.e.s.
Brièvement, nous avons pris contact, échangé, entre Martin, moi, et Emmanuel, pour un travail syndical concret qui passe un peu par-delà les (grosses) tranchées tracées entre les tendances.
Ca a duré un conseil d’UFR.
En effet, mystérieusement, alors que notre doyen m’avait, à ma demande, ajoutée à la liste des convoqué.e.s à ces conseils, par la suite, je n’ai plus reçu aucune convocation de l’année.
J’ai eu par Martin Crouzet la date du conseil de janvier, mais n’ai pas pu venir pour cause de fiche de lecture à finir d’urgence…ensuite, j’ai laissé tomber, parce que rédiger un mémoire en n’ayant que les week end plus les vendredi, rendait irréaliste tout autre engagement, même minime. Et puis que personne ne m'informait des dates des conseils, dans les faits, depuis ma disparition inexpliquée de la liste des convocs faites via notre doyen.
J’ai été coupée de pas mal de choses cette année-là.
Pourtant, c’était intéressant, comme mandat. Comme disait Emmanuel, on n’en fera pas la révolution, mais il y a des petits trucs à faire là tout de même.
Raté.
Et nous arrivons maintenant à Zombifex.
Alors je précise tout de suite que Zombifex n’est pas un zombie.
Zombifex ressemble plutôt à un proche du MAAL, si toutefois je ne me trompe pas (c’est qu’il est difficile de cerner Zombifex).
Le MAAL, à ne pas confondre avec le MAL, bien sûr.
Dans le MAAL, il y a en gros un ou deux A pour dire que c’est des anarchistes.
Vous allez me dire, pourquoi moi, une libertaire, j’ai été à l’UNEF et ne suis pas au MAAL ? C’est complètement incompréhensible !
Eh bien disons que j’aime bien aller voir à l’étranger. Voilà.
Comme cela, je connais et comprends plein de monde qui me serait radicalement étranger si je restais entre libertaires. C’est que les puristes, les duristes, j’ai déjà donné, merci, mais je n’en dirai pas plus ici sur ce chapitre.
Donc Zombifex n’est pas un zombie. Zombifex est celui qui, vers la fin du mouvement LRU 1 (soit début décembre 2007) a hérité d’un mandat : celui de gestionnaire de la toute nouvelle liste mail enfin créée à partir de toutes les adresses recueillies durant le mouvement.
Ca faisait un mois qu’on l’attendait, mais c’est pas grave, tout mouvement a ses lacunes (celui-là a eu pour qualité de mener une occupation jour et nuit du batiment K qui tenait la route, les toilettes n’ont jamais été aussi briquées qu’à ce moment-là, je crois. Et si des profs de psycho n’ont pas apprécié qu’on pique leurs arbustes artificiels pour la déco de l’entrée de l’amphi D, tant pis, nous, on les a bien kiffés pendant tout le mouv’. On les aurait presque taillés si c’étaient des vrais. Manque de pot, c’étaient des faux.
Mais tout cela, c’était avant l’entrée des CRS sur le campus…).
Nous sommes aujourd’hui en 2010, et Zombifex est toujours gestionnaire de la liste. Il a donc le pouvoir de censurer à sa convenance n’importe quel message, n’importe comment, sur la base d’un mandat jamais renouvelé (et il l'a fait une fois ou deux, je l'affirme ici).
Bref, Zombifex est anarchiste, mais il gère au quotidien un maouss chèque en blanc, tout le contraire du mandat impératif et renouvelable à chaque instant qui nous est cher, à nous les libertaires.
Que voulez-vous, la contradiction fait partie de l’humanité, nul gestionnaire n’est parfait mais, plus encore, nul mouvement et surtout nulle AG mandatante n’est parfaite...
Accessoirement, la liste en question est la principale liste de circulation d’infos utilisée à Lyon 2 en cas de mouvements étudiants.
Pour finir, avant d’en venir à André Tiran, voici un membre du collectif jeunes chercheurs : Emmanuel Porte.
Alors mon problème actuel (résumé tout en bas du présent courriel) est trop compliqué et hors du commun pour tout ce monde, remarquez-le. Je veux bien qu’on ne soit jamais mieux servi.e que par soi-même, mais tout de même, les syndicats et collectifs étudiants, sont un peu légers concernant les revendications sur les conditions d’entrée en doctorat. Je ne vais pas jeter la pierre au collectif jeunes chercheurs, parce qu’il a pour mérite précisément de chercher à combler ce manque syndical (sûr que s’il faut attendre le lendemain du grand soir, ou de 2012 selon les cas, on en a encore pour longtemps avant d’améliorer des choses concrètes ici et maintenant…). Mais tout de même, là, y’a un gros vide, que nul SOS examens ou assimilé ne vient combler.
C’est un peu la jungle, le maquis, en vérité.
Qui permet que lors d’une soutenance en juin dernier, un directeur lâche une étudiante qu’il n’avait jamais réellement assumée. C’est pas moi. Elle, elle a eu 14, moi 18. Message : « tu peux aller chercher un directeur de thèse où tu le souhaites ».
Et combien d’autres comme cela, qui passent aux oubliettes de l’université ?
Et qu’est-ce que ça coûte à un.e enseignant.e, de dire « non » ou « oui » au départ, mais pas « voooooouuuuuuuuuuui » ? Et d’assumer ensuite l’engagement qu’il.elle a pris ? Et si ça s’avère ne pas marcher, de ne pas laisser totalement dans la nature l’étudiant.e, de lui donner des pistes pour trouver quelqu’un d’autre ?
Mais non, on dirait que les étudiant.e.s, pour certain.e.s (pas pour tou.te.s), c’est la piétaille de l’université, des moins que rien, des klennex jetables.
Le collectif jeunes chercheurs arrive au milieu de tout cela…il ne s’est même pas encore attaqué à cela. Il en est à lutter pour que les doctorant.e.s qui enseignent comme vacataires soient payé.e.s en lieu et en heure, et non avec des mois de retard (inimaginable dans le privé !). Il en est à lutter pour le respect le plus basique et minimal vis à vis des doctorant.e.s.
Peut-être qu’un jour, nous serons autre chose que la piétaille insignifiante dans ce monde …
Peut-être qu’un jour, ce monde sera ainsi mieux défendable par la solidarité extérieure.
Allez défendre le monde de la recherche, quand votre enfant est étudiant.e et ainsi considéré.e par ces personnes qui vous demandent, en plus, de les aider à « sauver la recherche » ! Cela fait envie de les soutenir, n’est-ce pas ?
Allez, j’en ai fini de vous présenter mes petit.e.s camarades.
Passons à André Tiran.
Comme nous sommes ici, je ne peux présenter les gens qu’en tant que ce qu’ils produisent, et non par leurs grades.
Par conséquent, je vais présenter André Tiran l’économiste, et non « Monsieur le président », même si peut-être il sera épisodiquement question du président, quand ce sera incontournable.
C’est à dire maintenant.
André Tiran, c’était ce chercheur à la réputation terrible, lorsqu’Olivier Christin était président : André Tiran était un des vices présidents, et partout dans le mouvement de 2009, il se disait « brrrr, pourvu qu’Olivier Christin ne démissionne pas, parce que sinon, on va avoir Tiran comme président, et Tiran, c’est la droite de chez droite ».
Ben ces gens-là, ils ne connaissent pas Paul Boino, alias le candidat adverse de Tiran lorsque Christin a finalement démissionné car il n’a pas apprécié l’humour des hackers qui, durant le mouvement, envoyaient des messsages parodiant les siens, aux 20000 étudiant.e.s de Lyon 2 – Trop forts, trop bons, nos hackers masqués.
Mais je crois qu’ils ne connaissent pas grand monde, tout court, ceux et celles qui disent ça, et qu’André Tiran pourrait avoir été jugé par oui-dires.
En effet, André Tiran, si l’on regarde ses auteurs fétiches, semble au premier abord un affreux économiste comme il s’en fait tant : Jean-Baptiste Say, la monnaie, les banques. N’en jetez plus, l’ensemble des militant.e.s du bâtiment K (sociologie et anthropologie) hérisse le poil devant tant de théories économiques libérales.
Même au second abord, André Tiran semble un affreux économiste comme il s’en fait tant : d’ailleurs, ils sont tous faits pareils, ils ne jurent que par les équations (l’étudiant.e moyen.ne du bâtiment K – sociologie et anthropologie – de Lyon 2 ne sait déjà plus bien ce que veut dire %, alors cela n’aide pas à communiquer entre ces mondes différents, il faut le dire).
Les équations, c’est pour faire de l’économie, c’est à dire servir l’OMC et compagnie.
Comme si l’anthropologie, c’était à l’inverse pour servir la populace, et la sociologie, pour former l’esprit critique de la populace. Ben voyons.
La populace, en vérité, si elle dépasse la troisième année de licence, c’est l’exception qui confirme la règle. Dura lex, sed lex !
Alors servir la populace, excusez-moi, mais je me permets ici d’entonner : « ni sauveur suprême, ni César ni tribun, producteurs sauvons-nous nous-mêmes ! ».
Puis si vous voulez aider vraiment la populace, baissez le montant des droits d'inscription en thèse, luttez pour le maintien des bourses sur critères sociaux à l'entrée en thèse (eh oui, les boursier.e.s n'ont plus rien s'ils.elles entâment une thèse !), etc.
Il faut gratouiller un peu plus pour remarquer des p’tites choses louches, pour un économiste standard, mainstream quoi, ou encore adepte de la pensée unique.
En effet, si on se limite aux « titres universitaires français », on apprend juste qu’il y a un très vieux diplôme d’études supérieures de sciences politiques (1972, plus vieux que moi, fichtre).
Puis un CAPES de sciences économiques et sociales (1974, toujours plus vieux que moi…).
Ensuite, nous avons un saut dans le temps de 13 ans.
Monsieur Tiran, vous avez mis plus longtemps que moi à reprendre des études : moi le saut dans le temps, ça a juste été entre 1999 et 2006, le temps d’avoir droit à un congé formation rémunéré, voyez.
Donc vous entreprenez (attention on se hérisse dans le bâtiment K) un DEA de « monnaie, finances et banque », à Lyon 2. Dans les jolis bâtiments des quais que tout le bâtiment K réuni vous envie. (P’tite pique en passant, de bon aloi, sur les inégalités entre filières dans l’université Lyon 2).
Une fois le bac + 5 nécessaire ainsi obtenu, hop, vous passez votre agrégation (1990). Et puis il s’écoule à peine 4 ans jusqu’à l’obtention du doctorat en science économique.
Il pourrait y avoir des titres universitaires non français, puisque l’intitulé « titres universitaires français » le laisse entendre, mais je crois qu’on se contentera des titres français.
En fait, le bon endroit pour gratouiller, c’est de lire plus bas dans votre page de présentation.
Là, on trouve encore un titre universitaire : un DESS, intercalé en 1973, en sciences politiques, avec … un premier truc intrigant, un mémoire sur le groupe et journal italien « Il manifesto ». Si si si. L’horrible Tiran de la liste RED (dite "de droite de la droite", dans la rumeur étudiante, pour l'élection de la présidence à Lyon 2) a commencé comme ça (là, je sens de jeunes camarades frémir : « comment, il serait possible que dans quelques décennies, on me surnomme Tyran dans l’université que je présiderais alors ? ». Boh… j’ai rien dit, moi, hein).
Ensuite, on trouve plein de travaux sur Jean-Baptiste Say, et, tout petit au milieu, ce « Mémoire de DEA, "Lénine la valeur et la monnaie dans les Oeuvres de 1894 à 1924." » en 1989.
On se souvient, là, du DEA de « monnaie, finances et banque », qui vient de hérisser tout le bâtiment K ? Bon, eh bien c’est celui-là, et toc.
En fait, Monsieur Tiran, votre parcours est plein de cachettes comme celle-là, et seules quelques unes sont visibles, n’est-ce pas ?
Tenez, regardez ce que je pioche, par exemple, un peu plus loin, toujours noyé au milieu des écrits sur ce libéral de Jean-Baptiste Say : « 1997 La Modernité de Karl Polanyi , recueil de contributions sous la direction de et A. Tiran, J.M.Servet, J.Maucourant. ».
Alors, du bâtiment K, qui était Karl Polanyi ?
Hmmhmm ?
Bon, eh bien je vous laisse regarder dans wikipedia, si vous ne savez pas.
Mais là, à ce stade, moi, je suis la piste…
… qui, lors d’un de ses détours, passe par « 1999 « L'économie mutuelliste de PJ Proudhon » in actes du Colloque 1998 La tradition française en économie , édités par P. Dockès, JP Potier, G. Klotz, L. Frobert et A. Tiran. ».
Même le MAAL va nous en faire un malaise, pfff …
On peut alors se demander "mais pourquoi Jean-Baptiste Say revient-il si souvent dans les travaux d'André Tiran, si dans le fond, il n'est pas du tout un économiste libéral, mais kiffe Lénine, Marx, il manifesto et compagnie ?".
Eh bien faut-il rappeler aux jeunes marxistes-léninistes qui ne le sauraient pas, tout simplement, la théorie de la valeur (économique) reprise par Karl Marx, est celle d'économistes libéraux, "classiques", comme Jean-Baptiste Say.
Et toc.
Donc André Tiran est simplement très logique. Il nous met du Jean-Baptiste Say partout, il fait même une thèse d'économie sur lui, mais maintenant, on voit bien que c'est une bonne cachette pour un économiste dissident…
Et finalement, via Karl Polanyi, la piste me mène à me demander si André Tiran n’a pas tout simplement fait partie de ce petit labo d’économie un peu dissident, justement, noté C par l’AERES (dont le rôle est de noter les "performances" des labos) parce que forcément, il ne publie pas beaucoup dans les revues de rang dit « A », vu qu'en économie, les revues de rang "A", sont des revues d'économistes "standard".
Eh bien il semble que j’aie bon flair, puisque ce labo est le descendant du « centre Walras », précisément mentionné en en tête des travaux listés sur la présentation d’André Tiran.
Ainsi, Monsieur Tiran, vous connaissez un peu ce qu’est la vie d’un tout petit labo par les temps qui courent …[nota : mais de loin seulement, car André Tiran n'a pas suivi ladite dissidence vers le petit labo sympa]
Voilà comment ce labo est décrit dans le rapport de l'AERES :
" Le LEFI a été créé en 2005, à la suite d’une restructuration du Centre Walras. Une partie de cette UMR, dont les thèmes de recherche relevaient de l’histoire de la pensée économique, a rejoint l’UMR pluridisciplinaire Triangle, la partie restante devenant le LEFI, localisé à l’Institut des Sciences de l’Homme. Son domaine de recherche est l’économie des institutions, avec une spécificité fortement revendiquée, celle d’une approche institutionnaliste de l’économie, en rupture avec le courant dominant de la science économique et animée par une vocation pluridisciplinaire. Les thèmes de recherche s’organisent autour de deux axes, le premier portant sur la construction sociale des marchés et sur la monnaie et le financement, le second sur l’entreprise, en mettant l’accent sur l’innovation, la relation d’emploi et la responsabilité sociale de l’entreprise."
Dans la série "points forts", il est noté par l'AERES :
"Forte identité de groupe, fondée sur un positionnement thématique et méthodologique tranché (dans le courant institutionnaliste de la théorie de l’entreprise) et entretenant un bon climat relationnel interne ainsi qu’une certaine attractivité en direction de jeunes chercheurs. [caractères mis en gras par moi]
- Disponibilité des directeurs de recherche envers les doctorants, accompagnée d’incitations à établir des contacts avec des chercheurs seniors étrangers. [idem]"
Ce labo a eu C (ce qui, traduit pour les personnes extérieures au monde de la recherche, est une mauvaise note).
A croire que les notations de l’AERES, c’est aussi éloigné du vécu des gens, que le PIB l’est des « indicateurs de bonheur humain »…
Bref.
C'était la pique du jour sur l'AERES, et je la crois juidicieusement placée.
En 1997, dans vos publications, Monsieur Tiran, il y a aussi cet article quasiment sociologique, autour de la confiance : « La confiance chez G.Simmel, participation à un ouvrage collectif sous la direction de PH. Bernoux et JM Servet »
Là, vous dites des choses très intéressantes, et qui me parlent beaucoup en ce moment, comme
« La foi en Dieu, l’estime de soi procèdent de la même conscience d’être un objet digne d’être aimé. Cette foi, ou cette estime de soi, peut s’incarner dans la référence à des principes supérieurs (valeur de l’acte créateur en art ou en science, conduite morale qui donne un sens à la vie individuelle par rapport à des valeurs qui prennent un sens transcendant). » (Tiran, 1997, p 1 sur le doc Hal SHS).
Oui oui, c’est bien la même personne qui a écrit cela, que celle qui a rédigé ces communiqués terribles parus sur le site internet de la fac ces derniers temps.
« Si la confiance sociale échappe à la rationalisation de la théorie économique standard cela tient au fait que, dans toute relation de confiance, chacun fait au préalable ( mais d’une façon presque instantanée) un pari. Ce pari n’est pas de l’ordre du jeu de dés, car chacun sait certaines choses et ne peut pas mesurer ce qu’il ne sait pas.(…)
Dans le cas où nous confions les clés de notre maison à notre voisin, pour les donner à un ami qui doit loger chez nous par exemple, nous établissons un lien de confiance dans son honnêteté. Nous lui faisons crédit. ».
Monsieur Tiran, n’y aurait-il pas un manque de crédit, au sein de la communauté universitaire, depuis environ 2007 ?
Notons qu’on ne vous a pas non plus fait grand crédit, lorsqu’on vous a attribué la réputation que j’ai décrite le plus fidèlement possible plus haut, sans même regarder plus loin que les ragots du coin.
« Deux chercheurs, deux chefs d'entreprise, deux responsables d'administration savent, sur leur partenaire, à peu près tout ce qu'ils ont besoin de savoir pour établir entre eux une relation. Ce savoir leur est donné par les traditions, les institutions, les organisations, l'opinion publique. Les positions, des uns et des autres, sont tout à fait circonscrites, de sorte que, l'ensemble préjuge inéluctablement de l'individu auquel on a affaire. Il suffit de quelques données supplémentaires extérieures pour que, la confiance requise à l'action en commun, puisse avoir lieu. »
Mais comment faire confiance à des personnes lorsqu’on les imagine, comme l’a fait la présidence de Lyon 2, comme des éléments « notoirement connus pour être extérieurs à l’université », c’est à dire, en filigrane, imprévisibles et parasites destructeurs ??
Et lorsque, d’autre part, l’on nomme une personne (moi par exemple) en la désignant exclusivement par le terme « le problème », et jamais par son nom, comment circonscrit-on, implicitement, sa position « de sorte que l’ensemble préjuge inéluctablement de l’individu auquel on a affaire » ?
Ensuite, Monsieur Tiran, vous nous donnez une définition de la confiance :
« Simmel va nous donner, à partir de toutes ces considérations sur savoir et non-savoir, une double définition de la confiance : "elle est une hypothèse sur une conduite future, assez sûre pour qu'on fonde sur elle l'action pratique", il ajoute ensuite que : "la confiance est aussi un état intermédiaire entre le savoir et le non-savoir" ».
Et moi, comme à mon habitude, je vais embrayer sur mes travaux, qui évoquent aussi cette question de la confiance. Ou, plutôt, des circonstances où elle est attaquée, ébranlée, voire brisée.
Il sera aussi question de ce que j’appelerais notre « imaginaire du mal », qui se révèle dans mon travail sur l’inceste, mais ne me semble pas bien différent dans les discours tenus sur « les casseurs » issus d’univers sociaux éloignés des nôtres bien sûr, du mois d’octobre 2010. Le mal, pour nous, ça vient toujours de loin :
« Dans l’imaginaire des professionnel/le/s rencontré/e/s, l’inceste [c'est à dire, dans notre société, le mal ultime] se situe : dans les campagnes et les montagnes, dans les DOM-TOM, chez des gens pas trop cultivés.
Dans l’imaginaire des incestées, la diversité semble plus grande, (…) pour elles, le danger est toujours situé près, et les vise ou visera des proches auxquels elles tiennent. »
Voilà le propos auquel mène le développement qui suit. Auparavant, l’on passe par les effets délétères du mal « situé près », fait par un.e proche, sur le tissu des relations confiantes nécessaires à la vie en société … parce que ce mal ruine toutes les hypothèses faites auparavant sur une conduite future du proche, assez sûres pour qu’on fonde sur elles l’action pratique (pour reprendre la citation de Simmel rapportée par vos soins, Monsieur Tiran).
J'ai une critique à faire envers mon écrit ci-dessous, et je la mets tout à la fin.
«
Quelque angoisse
Hier, discussion avec deux jeunes profs de fac [un couple, dans les couloirs d’un colloque pluridisciplinaire]. Ils me demandent sur quoi je travaille. Je leur explique : « l’inceste », en anthropologie.
Leur réponse : « ah ouais, c’est intéressant, ça, comme sujet ». On en discute, ils (il et elle) me posent des questions, j’y réponds, jusqu’au moment où il me demande s’il y a un lien avec des milieux sociaux, et est-ce qu’on a des chiffres.
Je lui réponds : en France on n’a pas de chiffres, au Québec, il y a eu des stats de faites, et ça touche tous les milieux sociaux.
[Puis] Je fais : « oui, on préférerait que ce soit dans des petits villages, chez les ploucs, etc, enfin en tout cas, pas dans notre milieu ? » sur un ton plaisantin.
Puis j’enchaîne en disant que par exemple, parmi mes entretiens, j’ai une mère victime d’inceste, qui est issue de milieu ouvrier et prof de fac. Eh bien son mari, prof de fac aussi, a incesté leur fille.
Là, mes interlocuteurs ont soif, il est d’un coup urgent de chercher de l’eau et d’en trouver.
(Ouf) on en trouve. Ils boivent, m’en proposent (« non merci, moi ça va »). De fait, ensuite, à leur initiative, on change de sujet de conversation (notes du 01/03/2008)
La question du milieu social apparaît très peu dans mes entretiens. Hormis avec Christine, qui pense que les familles bourgeoises sont probablement moins touchées car plus stables. L’instabilité, pour elle, étant causée notamment par la « dissociation », c’est à dire le divorce. Delphine Serre relate quant à elle que « Face à un public armé culturellement, « capable d’argumenter » et maîtrisant la hiérarchie symbolique des institutions d’encadrement (…) la mise en valeur des obstacles rencontrés aboutit finalement à un retournement complet du rapport de forces au sein de la relation assistantielle : il s’agit de conquérir « le droit de travailler » avec ces familles. » (Serre, 2009, p 92). Francis, lui, évoque ce qu’il imagine de ces milieux sociaux qui échappent à son action.
Francis, éducateur en service enfance - Sauf que c’est, alors peut-être … euh … que c'est moins su dans les familles beaucoup plus insérées (…). Traité en tout cas en priorité par, par la famille qui va assurer un moyen de protection. Ensuite après, ça veut pas dire que celui qui a été victime va pas porter plainte à un moment donné. (…)Et puis, il y a peut-être, euh, voilà, tout le poids de l'environnement social et familial, qui fait que, avant qu'il y ait un passage à l'acte, il y a, il y a la, voilà, cette mesure un peu de protection qui intervient.
L’anthropologue - mesure de protection ?
Francis - En tout cas de l'extérieur, qui va venir protéger l'enfant, euh, l’extérieur, surtout, enfin essentiellement familial, mais, voilà, qui va, qui va venir protéger l’enfant de, de ses parents, ou de son parent qui pourrait être potentiellement ... parce que, parce que … (silence) … je pense qu'il y a moins, dans des familles beaucoup plus défavorisées, au sens large ... elles sont aussi défavorisées sur le plan de l'environnement familial.
Anthropologue - c'est à dire ?
Francis – C’est à dire qu’elles sont beaucoup plus isolées, ou les contacts avec la famille [élargie] sont beaucoup plus complexes.
L’inceste est donc imaginé aujourd’hui, majoritairement, comme concernant tous les milieux sociaux. Même si quand c’est dans sa propre profession, cela peut donner soif : l’inceste, c’est avant tout loin de soi. Physiquement.
Par exemple, Francis est un urbain.
Francis, éducateur en service enfance - Alors ... on sait très bien, hein, des situations d'inceste, il y en a encore, hein, dans les campagnes, dans les montagnes, moins maintenant, mais il y a 50 ans, hein, dans les campagnes, dans les montagnes, il y en avait, hein.
L’anthropologue - hmmhmm. Et en ville, quelques fois, ou ... ?
Francis - En ville c’est, c’est beaucoup plus, ça se voit moins, peut-être, et puis il y a plus d'interactions avec l'extérieur : à l'époque en campagne et en montagne, ils étaient beaucoup plus isolés, donc ils se reproduisaient entre eux. Alors la consanguinité, c'est bien connu, et ça se voit encore maintenant. Ca se voit hein : vous allez en montagne et en campagne, enfin voilà, enfin des anciennes générations, quoi, pas des nouvelles, mais les anciennes. Vous regardez dans les cimetières, en montagne, il y a trois familles. Donc il y a eu (…) aussi, sûrement des passages à l'acte, avec de la consanguinité, des cousins plus ou moins éloignés, et puis voilà, c'étaient, ben, les fameux idiots du village hein.
Anthropologue - les idiots du village ?
Francis - La consanguinité, souvent, ça donne pas non plus euh, ça c'est connu, ça donne pas (…). enfin je fais beaucoup, je fais un peu de montagne, donc je me suis assez intéressé à ça et, voilà, enfin. (…) Et puis vous avez sûrement du le voir, il y a des auteurs qui l'ont repéré par rapport à ça.
Anthropologue - hmmhmm. Et donc sur les situations urbaines, c'est celles que vous retrouvez chez le juge dont vous me parliez ?
L’inceste est éloigné géographiquement, socialement (ce ne sont pas des gens comme lui), mais aussi temporellement (c’était il y a 50 ans, c’est dans le cimetière), et la violence sexuelle y est occultée par le passage de « l’inceste viol » à « l’inceste consanguinité entre cousins », sanctionné, par la biologie, de dégénérescences dans la descendance des fautifs.
Il est intéressant de préciser à quel moment de l’entretien ce propos surgit : Francis vient de se remémorer l’insupportable situation rencontrée durant son stage. Puis d’exprimer son scepticisme sur la viabilité, dans ce cas, des solutions habituelles d’aide à la parentalité. Puis de chercher recours auprès des experts psychiatres pour, quand même, pouvoir aider à la parentalité et reconstruire la famille dans ce cas. Et c’est ici, précisément, que s’insère le périple qu’il vient de nous faire effectuer en montagne et dans les campagnes
Dans son ouvrage, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Georges Devereux relate son expérience qui a consisté à observer les réactions de groupes, d’ethnologues puis de psychanalystes, à la projection d’un film montrant des rites de circoncision et de subincision en Australie. Il a également collecté les réactions individuelles et même des rêves analysés avec certains des psychanalystes, après la projection.
Devant les ethnologues « Le film (…) n’était accompagné d’aucun commentaire, vu que toute l’assistance connaissait par ses études le rite australien de subincision, dans lequel la peau du pénis est entaillée petit à petit avec un éclat de silex, l’urètre étant progressivement ouvert du méat jusqu’au scrotum. Les réactions féminines et masculines au film différaient nettement. (…) La familiarité intellectuelle des étudiants avec les rites de subincision australiens, en même temps que le fait qu’ils se définissaient comme des ethnologues professionnellement intéressés à ces faits, atténua quelque peu l’impact traumatique du film. » (Devereux, 1980, p 87).
En revanche, le groupe de psychiatres assiste à une projection du film commentée par Devereux : « Commentateur du film, je faisais face, la plupart du temps, à l’assistance ; ce qui me permettait d’observer une quantité surprenante d’agitation nerveuse, de chuchotements et autres signes évidents de malaise. Je vis aussi que, durant la scène culminante de subincision et immédiatement après, un certain nombre de jeunes psychiatres et de candidats psychanalystes quittèrent la salle, individuellement ou par groupes de personnes du même sexe. (…) La plupart de ceux qui partaient étaient des hommes, dont plusieurs candidats analystes (…).Après le film, (…) la discussion fut étonnamment courte pour un public qui, comme je l’appris par la suite, était habituellement curieux et animé. » (Devereux, 1980, p 89-90). Ceci motive Devereux à rester un jour de plus, pour demander à plusieurs de ces personnes de lui communiquer les rêves qu’elles ont pu avoir fait durant la nuit suivant cette projection.
Il commente, à propos de l’un d’eux : « Le lieu du rêve était habilement choisi ; il accroissait la distance entre le dormeur et l’Australie et l’éloignait aussi de la ville où il avait vu le film. » (Devereux, 1980, p 93). Cette défense par éloignement géographique est présente dans la majorité des rêves qu’il commente.
Elle est bien présente parmi mes interlocutrices/teurs également. Et il ne s’agit pas de n’importe quel éloignement. Les campagnes, les montagnes, mais aussi les DOM-TOM, sont des territoires dominés, soit dans le rapport urbain moderne / rural « archaïque », soit dans le rapport issu du colonialisme. Les habitant/e/s de ces territoires constituent comme des étranger/e/s à « notre » monde, urbain et métropolitain.
Et cet éloignement permet de parler, entre femmes blanches, de l’inceste chez ces « autres » :
L’anthropologue - (Long silence. Je cherche une question) et quand vous me disiez, vous parliez de l’île de la Réunion, je reviens en arrière, ça se, ça se produit plus, il y a plus de cas, tout ça etcaetera … ?
Micheline, assistante sociale en lycée professionnel – Ben l’époque où j’y étais, c’était quand même il y a un bon bout de temps, hein.
Anthropologue - Ouais, c’était quelle période à peu près ?
Micheline - 80-83, donc ouais ça va faire 30 ans … (…). Euh, ben ça se produisait beaucoup plus en intrafamilial (…). Mais là c’était plus les assistantes sociales de secteur en fait qui s’occupaient de ça . Moi c’était plus des discussions avec des collègues de secteur, en fait, qui m’expliquaient ça. (…)
Anthropologue - Mais en tout cas, enfin y avait, y avait des cas visibles, et qui, et qui arrivaient à en parler, quoi ?
Micheline - Ben c’est ce qu’elles me disaient, en tout cas, hein. Ouais ouais ouais ouais ouais.
Anthropologue - Hmmhmm. Ce que vous retrouvez pas forcément en métropole … ?
Micheline - Comment ça, c’est à dire ?
Anthropologue - ben les collègues de secteur par exemple, qui en parlent, comme vous me disiez.
Micheline - Non. Non. Non non non non non, y’a pas, y’a pas, en fait, je les ai pas entendu dire « oh ben dans les familles réunionnaises … ». (…) Ou, il y en a aussi, il y a des situations aussi, quand je pense euh, les maorais, les antillais et tout, qui arrivent en métropole, et du coup qui parlent de ce qui s’est passé dans leur pays.
Remarquons que ma dernière question n’est même pas audible : alors que je demande à Micheline si en métropole aussi, ses collègues de secteur parlent souvent entre elles de situations d’abus sexuels incestueux, elle comprend que je lui demande si elles parlent souvent entre elles d’abus dans les familles réunionnaises présentes en métropole.
Ce phénomène de visibilisation plus facile de l’inceste chez « les autres » se retrouve y compris, bien sûr, parmi les sociologues et anthropologues : par exemple, dans l’ouvrage de Maryse Jaspard qui exploite l’enquête ENVEFF (sur les violences faites aux femmes), la seule allusion aux abus sexuels intra familiaux se trouve ici : « Selon un mode d’interrogation particulier à base de dessins, utilisé dans les enquêtes de la zone pacifique, il a pu être estimé que 15% des femmes [kanak] avaient été victimes d’inceste avant 15 ans. » (Jaspard, 2005, p 60-61). En revanche, pour la métropole, aucun chiffre n’est donné, alors même que des questions posées dans l’enquête l’auraient permis.
Mais « loin », cela peut aussi être à la télé … ou dans les livres.
Francine, enseignante en lycée professionnel – Quand on le sait de façon livresque, on le lit dans les statistiques, ou dans des bouquins de sociologie ou de psycho, quand on est face à un humain qui explique ça (…) je me suis dit après la discussion avec lui que c’était le, connaître les cas personnellement, c’était quand même beaucoup plus dur que de les voir dans les journaux. Parce que même si on sait qu’une partie de l’humanité se comporte de façon peu humaine, euh, c’est, c’est quelque chose qui est, qui est de l’ordre du choc, le fait d’y être confronté. Parce que quand c’est livresque et quand c’est vécu, même si c’était pas un élève que je connaissais depuis longtemps …
L’anthropologue - Dans les livres, c’est un peu loin en fait ?
Francine - Hein ?
Anthropologue - Dans les livres, c’est un peu loin, c’est … ?
Francine - C’est loin, c’est un peu irréel, donc là tout d’un coup, ça devient … quelque chose de réel. Par la suite, je me suis souvent dit, je crois n’avoir jamais refait le texte de Bettelheim, ça c’est pas très courageux.
Francine me permet de repenser aux renvois, récurrents, qui m’étaient faits en direction des témoignages livresques, lors de mon mémoire de master 1, lorsque je souhaitais avoir des entretiens avec des incesté/e/s « en chair et en os ». Et comment comprendre, également, à la lumière des propos de Francine, ce que constate Dorothée Dussy concernant les anthropologues et l’inceste ?
Prenant pour exemples des ouvrages classiques et majeurs de la discipline sur le sujet, elle s’intéresse par exemple à Les deux sœurs et leur mère, de Françoise Héritier, et relève alors : « Ce qu’il est utile ici de souligner, c’est qu’à l’exception de deux, tous les cas d’inceste relevés et décortiqués dans Les deux sœurs et leur mère sont fictifs, soit qu’ils relèvent de constructions théoriques, soit qu’ils soient des créations littéraires » (Dussy, 2004, p 7).
Enfin, voire un abuseur « en chair et en os » s’avère une épreuve à laquelle je n’avais pas pensé. Mais mes interlocuteurs/trices m’y conduisent.
Francis, éducateur en service enfance - J'avais un papa, un papa qui avait fait des attouchements sur sa fille. La première fois que je l'avais vu, c'était au tribunal, c’était dans le cadre du renouvellement du placement.
Et, euh, ben voilà, entre ce qu'on entend, ce qu'on lit, ce qu'on perçoit dans les média, et voir quelqu'un qui est identifié comme tel : "abuseur". Eh ben, faut prendre sur soi quand même hein.
A cet instant de l’entretien, pendant qu’il me parlait ainsi, j’ai réalisé que pour moi, voir un abuseur était d’une banalité quotidienne, et pour cause. Donc jamais je n’aurais pensé, si Francis ne me l’avait dit, que cela pouvait faire un tel choc. Pourtant, c’est bien sur le registre du choc que se passe la proximité avec l’agresseur, pour les incesté/e/s également. Et du choc quotidien, qui laisse des marques ensuite, mais n’est même plus pensé comme choc par les principales intéressées : Danielle est malade à la simple idée de remettre les pieds dans la ville de son agresseur, Lydia fait des cauchemars durant lesquels il salit de son regard l’enfant dont elle est enceinte. Aurélie me raconte que si toute la fratrie s’est confiée au petit frère en lui demandant de ne rien répéter, alors qu’ils/elles sont adultes, c’est parce que tou/te/s avaient peur que le grand frère abuseur sache que cela s’était dit. Enfin, le père incesteur d’Agnès et le plus marquant pour Paulette de ses abuseurs sont, tout simplement, décédés. Mais Paulette n’aime pas les villages, qu’elle nomme « ce magma », où elle a été abusée …
Enfin, l’abus sexuel incestueux, cela peut devenir encore plus proche que par la rencontre dans un tribunal : deux de mes interlocutrices me relatent avoir eu affaire à cela dans leur entourage personnel. En l’occurrence, à chaque fois, l’incesteur était un ami à elles. Il s’agit de Francine, enseignante en lycée professionnel, et de Laurence, assistante sociale en planning familial. Pour cette dernière, je me suis d’ailleurs demandé si cette expérience n’entrait pas pour beaucoup dans son choix de répondre à ma demande d’entretien, tant, durant cet entretien, elle y revenait tout le temps, là où d’autres interlocutrices fuyaient plutôt vers les abus extra-familiaux et les maltraitances non sexuelles …
Laissons, pour commencer, la parole à Francine, qui relate ce qui lui est arrivé quelques temps après sa rencontre avec l’élève incesté.
Francine - Bon, par la suite, j’ai juste eu le cas d’une amie, qui vit, bon, assez loin maintenant, (…) que je vois peu, et mais qui me donne des nouvelles de temps en temps de ses enfants. Elle s’est mariée plusieurs fois, et qui, euh, me donnant des nouvelles, si on peut dire, de son ancien mari, que j’ai très bien connu, m’a dit qu’il avait donc pris dix ans de prison (…), puisque, après sa séparation (elle avait eu une fille avec lui, il a eu une autre fille très rapidement avec une autre femme). Et que des années après, plus tard, cette deuxième fille a porté plainte euh, donc, euh, pour inceste, et … que le procès avait été très éprouvant mon amie était revenue, puisque sa fille voulait aider sa demi sœur dans cette épreuve.
Ici, l’ami a été quasiment perdu de vue. Il est devenu lointain : ce n’est pas un ami contemporain, toujours assidûment fréquenté. Contrairement au cas de Laurence.
Laurence - Et puis j’y ai été confrontée moi par le biais d’une, d’une amie, donc là ça a été un peu plus compliqué. Un ami à moi hein.
L’anthropologue – Hmmhmm.
Laurence – Ca, ça a été chaud . (…) Un ami, le papa, euh, qui a tripoté sa fille pendant euh, pendant trois ans, quatre ans. Et on l’a su ça euh, trois ans en arrière. (…) Là c’est chaud, là. (…) Enfin ça c’est pas professionnel, donc. Mais c’est, c’est compliqué. Je voulais vous le signaler, surtout quand c’est des gens qu’on connaît, et puis vraiment, on a fait des, on s’invitait … ce qui est compliqué, c’est de, pffff, je sais pas comment vous expliquer ça.
Ce qui est compliqué à m’expliquer, c’est qu’à la différence de Francine qui, heureusement, avait presque perdu de vue l’incesteur, le fait que cet ami soit toujours un proche induit la nécessité, dramatique, de faire des choix. Laurence poursuit immédiatement :
Laurence - De toute façon on fait des choix. C’est dramatique mais on fait des choix. Et on, qu’on le veuille ou non, on prend fait et cause pour la victime. Hein, c’est ce que j’ai fait, mon mari c’est ce qu’il a [inaudible]. Euh, ma copine, donc la maman en question, elle elle s’est séparée du papa. Donc ça vous fout en l’air toute la famille. Et, surtout, euh. Je l’ai envoyé voir un thérapeute, encore ça ça va, (…) mais il n’a toujours pas compris.
Anthropologue – Euh, qui il ?
Laurence - Il a pas, il pense pas que c’est grave, ce qu’il a fait (…) et ça quelque part, euh, je, il me dit « ouais mais je l’ai fait une ou deux fois ». Je lui dis « j’en ai rien à foutre, (…) les mains tu, tu, tu les laisse dans tes poches » (…). Et ça, ça, il a pas pu évaluer. C’est compliqué, ça, c’est très très compliqué. Quand c’est, c’est un ami, c’est ...
Les choix mettent cependant quelques temps à se faire : Laurence nous dit l’avoir d’abord envoyé voir un thérapeute, et puis ajoute, le terme d’usage professionnel « le papa » désignant bien ici son ex-ami
Laurence - Et là, moi au début, il me téléphonait, le papa, parce bon, je lui ai dit « je te laisserai pas tomber », mais, heu, en tant qu’assistante sociale.
Cette étape préalable à la prise de parti claire en faveur de l’incestée et au détriment de l’ex-ami est-elle devenue difficile à dire au point de devoir se réfugier ainsi derrière son statut professionnel, qui n’a pourtant rien à voir dans l’affaire ? Elle montre en tout cas la difficulté à se résigner à ce que l’incesteur soit, décidément, infréquentable car n’éprouvant ni l’ombre d’un remord, ni l’ombre d’un sentiment de culpabilité, puisqu’il a juste, dit-il, « un peu » tripoté sa fille. Toutefois, encore aujourd’hui, Laurence oscille entre le souhait que l’incestée porte plainte, et l’idée que non, quand même, la police le garderait en garde à vue, mais ne l’enverrait pas en prison …
Laurence - Je pense que même pour, pour le papa, c’aurait été bien au moins qu’il aille euh, être confronté aux flics. Je pense pas qu’ils lui auraient fait quelque chose [inaudible].
L’anthropologue – Qu’ils lui auraient fait quelque chose ?
Laurence – Oh ils l’auraient pas mis en taule, je pense pas.
Idée qui alterne chez elle avec le sentiment que lui, finalement, ou les abuseurs de façon plus générale, auraient été prêt à y aller, en « taule ». Idée qui montre l’ambivalence, persistante, du positionnement dans ce cas.
Laurence, assistante sociale en planning familial - Et ce qui m’a le plus troublé, enfin, nous a troublées, ma collègue, c’est que le, le père, ce monsieur, [inaudible] a demandé à nous voir.
L’anthropologue – Ah ouais ?
Laurence – Alors il y avait donc, toujours la fille en question, la femme, et le mari. [inaudible : « je lui ai fait un bon sermon » ?]. Ah mais avec ma collègue on a cru qu’on virait. Et on s’est retrouvées, donc, face à un agresseur.
Anthropologue – Hmmhmm.
Laurence – Mais alors, on lui aurait donné [inaudible] le bon dieu sans confession, hein, et simplement, vous savez pas ce qu’il nous a dit ?
Anthropologue – Non.
Laurence – « Merci ». Merci beaucoup, peut-être de, de l’avoir arrêté quoi. De lui avoir mis une limite dans l’acte. Vous voyez ce que je veux dire ?
Pendant ce temps, Francine nous explique un peu plus qui a été son ami, pour elle, dans le passé.
Francine - Et là ça m’a aussi ouvert les yeux sur ce problème de l’inceste, parce que, là, c’était un copain de fac, quelqu’un avec qui j’ai passé beaucoup d’heures à militer, plaisanté, ri, rencontré très souvent quand il vivait euh, avec elle, donc avec sa première femme. Il était, bon, au niveau des mœurs, c’est vrai que c’était, en plus c’était un séducteur, il avait beaucoup de conquêtes, il était très recherché par les femmes. Et jamais, jamais, jamais, il me serait venu à l’esprit qu’un gars comme ça si cultivé entre guillemets, qui d’autre part avait beaucoup de conquêtes féminines, et puis beaucoup d’occasions qui se présentaient, était à même de s’en prendre à sa propre fille.
J’aurais peut-être pu me dire que s’il avait autant de libido, il avait un problème, mais je m’étais jamais posée les questions dans ce sens. Et c’est là qu’après j’ai fini par me dire que c’était vraiment vrai ce que j’ai lu je sais pas où, c’est que le degré de, comment dire, de culture d’un individu, il a pas forcément à voir avec son degré d’humanité, quoi (…) comme on l’a vu avec les nazis qui pouvaient apprécier beaucoup la musique classique et, et l’art moderne.
Est-ce l’éloignement, dans l’espace et dans le temps, de cette relation, qui lui permet cette prise de position plus tranchée ? Elle n’a en tout cas pas à faire le choix actif de rompre une relation, puisque déjà auparavant, elle n’avait de ses nouvelles que par intermédiaire. Elle me précise, de plus (au cas où je l’aurais oublié de sa part) être d’habitude plutôt contre la prison et le « sécuritaire », mais que là, les dix ans de prison, ma foi, semblent adéquats à la situation.
Le malaise qui filtre néanmoins, sur le thème « je n’aurais jamais cru, un homme si cultivé », cultivé comme elle, se retrouve exprimé plus clairement encore par Laurence.
Laurence - Je sais pas, ça me met, très très mal à l’aise, ces histoires. (…) Ca me fait pas la même chose que, ces histoires de viols. Pourtant c’est hard, hein, les viols.
(…)
Donc là, qu’est-ce qui se met, dans ces histoires-là ? C’est « j’ai pas pu protéger mon enfant, j’ai honte, j’ai rien vu », et puis la déception de, que son conjoint ait une double vie.
L’anthropologue – Une double vie ?
Laurence – Ben, euh, dans le cas de ma copine, (…) alors je sais pas, vous partagez la vie avec quelqu’un, vous … Vous allez pas mettre, vous mettez pas une balise argos hein. Vous lui faites confiance.
Anthropologue - Oui.
Laurence - Bon eh ben au niveau de la perte de confiance, c’est inimaginable. J’appelle ça une double vie
Francine m’explique de son côté le déroulement du procès : l’ex-femme de l’incesteur et sa fille étaient revenues exprès du pays où elles s’étaient installées, car elles ne voulaient pas y laisser la demi-sœur, l’incestée, seule. Francine me relate le caractère éprouvant, pour elles toutes, de ce procès, qui a fait dire à cette amie qu’elle avait eu raison d’y venir soutenir l’incestée moralement.
Francine - elle avait toujours gardé des liens même si son mari était parti avec une autre femme et avait eu cette fille [ : la demi sœur]. Les demi sœurs étaient toujours restées un peu en contact. (…)
Puis c’est dur aussi dans la mesure où j’imagine quand on a vécu avec quelqu’un, on a eu un enfant avec … voir ce qu’il a pu être capable de faire … par contre ça ne s’était pas produit avec sa, sa première fille, mais, enfin quand ils s’étaient séparés elle était assez petite.
Laurence imagine cette situation d’un peu plus près encore …
Laurence – De toute façon ces histoires, ça se passe comme ça, personne ne voit rien.
L’anthropologue – Hmmhmm. Par rapport à la question du secret, aussi.
Laurence – Du secret, ouais.
Anthropologue - … ce que vous me disiez sur la double vie euh … ?
Laurence - Ah moi personnellement, il me fait un coup comme ça mon mari il calte hein. Et c’est même pas en rêve.
C’est ainsi que les actes, insoupçonnés, de l’ami, créent pour elle le soupçon sur son propre mari : qui sait s’il n’en fait pas partie, lui aussi, de manière invisible, indiscernable ?
Philippe Liotard, dans un article sur l’étranger vu par la science fiction, évoque notre imaginaire du mal : le mal y vient d’extraterrestres, d’aliens, qui veulent nous envahir et détruire l’humanité. La monstruosité (synonyme d’hostilité) de ces extraterrestres est, dans un certain nombre de cas, visible : ils ressemblent à des cosses de haricots géantes, à des reptiles, à des bonshommes verts … bref, pas à nous. Dans ces cas-là, « Au fond, qu’ils soient vraiment différents rassure. Ils peuvent faire peur, être monstrueux, rusés, s’avancer silencieusement ou se tapir dans l’ombre, dès qu’ils sont repérés, ils sont identifiés comme étrangers. » (Liotard, 2000, p 65). En effet, « Repérables immédiatement, les petits hommes verts, petits-gris et autres aliens, peuvent aisément être désignés comme ennemis à abattre dans le cadre d’un affrontement classique. Il en va bien autrement avec des envahisseurs à forme humaine qui cachent leur altérité. On sait (ou on croit savoir ou quelques initiés savent) qu’ils sont là, mais on ne les reconnaît pas. » (Liotard, 2000, p 66). Comme c’est le cas, par exemple, pour David Vincent dans la série bien connue Les envahisseurs. Mais ici, il existe encore un indice : le petit doigt, différent chez eux. « Parfois, pourtant, il n’existe rien de tangible pour repérer l’autre, si ce n’est l’intuition. (…) Cette capacité [l’intuition] permet de répondre à la volonté de repérer l’autre à tout prix. Car combattre un ennemi que l’on ne voit pas constitue une situation hautement anxiogène. » (Liotard, 2000, p 67).
Et c’est exactement la situation dans laquelle se retrouvent Francine et Laurence
Francine, enseignante en lycée professionnel - c’est vrai que pour beaucoup de personnes, c’est quelque chose qui se passe loin, qu’on voit dans les journaux, entendu parler à la télé. Mais, euh … c’est pas, c’est des gens bizarres, qui vont pas bien, ou des familles à problèmes, et puis quand on s’aperçoit que c’est dans une famille où il y a pas de … [inaudible] niveau d’études, niveau de revenus financiers, ça n’a rien à voir. Et, on n’arrive pas à s’enlever quand même cette chose là de la tête : « un monsieur si gentil ».
L’anthropologue - Ouais. Un ami de fac …
Francine - Oui … Oui. Ben, j’avais bien trouvé qu’il avait beaucoup de libido, qu’il était vraiment un peu, mais bon, c’était après les années 68, donc il y avait une de ces grandes libertés. (…)
Moi – (rire : ) il dort toujours [le chat, derrière elle, sur le canapé, malgré les secousses]
Francine - … ouais, je fais le rapprochement avec les nazis, mais finalement, euh, quand je me suis sentie mal auprès de lui, j’ai vraiment eu cette sensation, qu’on pouvait tuer des gens physiquement, comme les nazis, donc être cultivés comme certains, hein, les nazis ils étaient très cultivés, hein (…). Mais qu’on pouvait aussi tuer ou, ou risquer de tuer psychiquement quelqu’un. Je crois que c’est ça qui m’a … c’est dur. Parce qu’il faut arriver à intégrer que, bien sûr, pour des histoires qui leur sont propres de leur enfance, ou propres maltraitances sur eux, mais que finalement ça change rien : comment est-ce qu’un être humain peut faire ça ?
Le fait que le mal soit apporté et commis par des personnes indiscernables des humains provoque, continue Liotard, la suspicion généralisée. Par exemple, dans le roman Les maîtres du monde, où des larves colonisent des corps humains qu’elles transforment en leurs marionnettes, « Chaque corps devient suspect. Dans le roman, un parasite s’est échappé. Les membres de la réunion appartiennent aux services secrets, et sont au-dessus de tout soupçon. Pourtant : « L’un d’entre nous, bien qu’il ait gardé son apparence humaine, n’est plus qu’un automate qui agit suivant le bon plaisir de notre plus redoutable ennemi » proclame le Patron. Cette annonce crée la suspicion de chacun contre tous. « Quelques secondes plus tôt nous formions une équipe ; nous n’étions plus maintenant qu’une foule où chacun se méfiait de tout le monde. » (Liotard, 2000, p 69). Ainsi, les incesteurs (et également les autres pédophiles), qui ne sont pas les marionnettes de larves extraterrestres, mais simplement d’eux-mêmes, une fois leur existence reconnue, génèrent une dislocation du lien social. Combien de fois l’ai-je entendu dans la bouche des professionnelles(els) interviewées(és) « ça vous fout en l’air une famille », « ça fait exploser la famille », « ça a été l’horreur dans la famille » ? Uniquement dans la famille, vraiment ?
Ainsi, leur crime n’est pas uniquement dirigé contre leurs victimes, mais porte également gravement atteinte à la société humaine, au tissu des liens sociaux, y compris les plus intimes comme le relatait Laurence.
Francine continue …
Francine - C’est assez désagréable de, de, d’arriver à intégrer, de vivre dans une société où … j’ai rencontré des femmes qui ont subi des violences, après, (…) de leur mari ou autre, qui ont le même type de réflexes que moi parfois face à une classe, c’est à dire « sur les 24 ou 30, il y en a bien un ou deux qui a du subir cette situation » (…). Et elles elles me disent que c’est dans les espaces clos justement, comme le métro, où elles se disent très souvent « il y en a combien, d’hommes violents ? ». (…)
Donc on a un certain moment où ça nous fait un basculement dans notre vie, on n’est pas forcément pour l’angélisme, pour penser que tout le monde est beau et gentil, mais tout d’un coup les menaces sont plus proches, quand ça touche un problème familial comme l’inceste, que ça soit un inceste direct ou les violences conjugales. C’est de, l’univers est beaucoup plus menaçant.
L’anthropologue - Très proches : juste à côté
Francine - Ouais. Ouais. C’est, c’est perturbant un peu. Mais après, bon, je pense qu’une fois qu’après qu’on a intériorisé ça, ça donne d’abord euh, comme on croit toujours que c’est loin, on se croit un peu préservé dans notre vie et dans nos relations à nos proches, mais, bon, peut-être qu’après on l’intègre. Mais il y a une phase où moi j’ai trouvé ça désagréable, de constater que il pouvait y avoir des gens euh, ou qui détruisent physiquement, ou qui sont capables de, de, par leur comportement de détruire en partie ou de risquer d’entraver le développement d’un, d’un jeune.
Et non, ce n’est pas marqué sur leur figure. C’est ainsi que je comprends, par ces descriptions de ce nouveau monde, de suspicion, de méfiance, où Francine et Laurence sont tombées, et qui est la description du monde dans lequel je suis moi depuis toujours, ce qu’est le monde des personnes qui n’ont pas vécu cela. Un monde où l’on n’imagine pas sans cesse que derrière tout homme, mais lequel, se cache peut-être un abuseur odieux comme papa, tonton, frangin … ou même maman. Un monde où l’on ne pense même pas à ça !
C’est ainsi que les abus sexuels incestueux, finalement, créent, par cette suspicion généralisée induite, pour les victimes et les proches, une rupture du tissu des liens sociaux confiants. Et c’est sans doute là un mal aussi grand que les abus eux-mêmes : rendre le monde humain ainsi invivable par l'omniprésence du soupçon.
La réaction de fuite de Francine, et non d’intégration de cette réalité, est à re-situer dans ce cadre-là (rappelons-nous qu’elle n’a pas réutilisé le texte de Bettelheim).
En outre, la tension peut être encore accrue quand il n’y a pas eu de reconnaissance officielle du crime commis, comme le raconte Laurence :
L’anthropologue – Donc euh, il avait abusé de Mathilde ?
Laurence – Quand elle était petite. Elle, et toutes les cousines. Je vous dis pas, ma copine, elle était, elle était morte. C’est fou hein. (…)
Elle [Mathilde], elle a voulu le, que la famille, sa famille à elle le sache, (…) mais elle en n’a pas reparlé avec ses cousines, voyez, et elle ne veut pas porter plainte. (…) Donc maintenant on est sur un truc totalement suspendu, donc elle a bien, comme je dis, elle a bien, elle a bien foutu … elle a fait exploser la chose, mais, la maman donc a changé d’appartement. Elle, Mathilde (…), elle s’est séparée de son mec, elle est en errance, elle est mal dans sa peau … et qu’est-ce qu’on fait de tout ça ?
En effet, qu’est-ce qu’on fait de tout ça ?
Je constate simplement, pendant que Mathilde, comme moi, ou encore Laurence, fait comme elle peut avec « ça », que je retrouve là les mêmes dynamiques que lorsque l’inceste est rencontré dans un cadre professionnel, mais en encore plus éprouvant et angoissant. Car ici, la trahison de confiance vient d’un proche, d’un ami.
Et ceci nous mène aux premières personnes à avoir vécu le choc de cette trahison : les incesté/e/s eux/elles-même.
Liotard nous a donné la piste des différences corporelles, comme marqueurs couramment utilisés, dans la société française notamment, pour identifier l’être hostile. Aurélie y ajoute d’autres pistes, lorsque sa fille, enceinte, va se faire tirer les cartes et lui annonce, donc, que selon ce tirage de cartes, Aurélie va avoir un petit garçon comme petit-enfant …
Aurélie – Ca a été une annonce euh, terrible. Mais pas dans le bon sens du terme hein, dans le mauvais sens.
Moi – Ouais.
A – J’ai commencé à pleurer et à me sentir angoissée euh …
M – Ca allait être euh ?
A – Ca allait être un grand frère.
M – Hmm.
A – Parce que je me fiais à ce qu’on lui avait dit, tu vois.
M – Ouais.
A – [Inaudible] c’est pas possible, euh, bon, ‘fin, ‘fin il allait être euh, lion, ben, comme mon ex-mari, et … il était juste pas noir.
M – (rires) « lion comme ton ex-mari et, juste pas noir » : ton ex-mari était pas noir ?
A – Non. Ah ben non, parce que là …
[rires]
Ainsi, les craintes, réelles, viscérales et incontrôlables d’Aurélie, se focalisent sur ceux qui ressemblent à son incesteur (et à son ex-mari, violent et destructeur vis à vis d’elle). Que ce soit corporellement (« noir »), ou par le signe astrologique, ou encore par la position généalogique (« grand-frère »). C’est à dire pas du tout sur des étranger/e/s ou des extraterrestres.
Pour Lydia, qui au collège était surnommée « la castreuse », la focalisation s’est faite sur un groupe social plus vaste.
Moi - On allait te violer parce que ? ‘Fin y’avait une raison ?
Lydia - Non. Peut être, peut être parce que j’étais bonne qu’à être violée, peut-être qu’à ce qu’on m’utilise, à ce que euh … je saurais pas dire, mais j’ai toujours eu ce sentiment. Là maintenant, c’est vrai que, je m’en rappelle là, mais ça fait quand même quelques mois que j’y ai pas repensé à ça.
(…) le fait que d’être avec [un conjoint gentil et respectueux] maintenant ben c’est un peu passé quand même
M-Hmmhmm
L-mais euh, c’est vrai que j’ai quand même pas mal changé depuis que je suis avec lui, mais euh … Parce que pendant des années, (…) les hommes pour moi c’était de la merde.
M-Hmm.
L-C’est, je haïssais les hommes, les hommes c’était bon qu’à, c’étaient que, que des violeurs euh éventuels hein euh, et donc pendant des années, j’ai crié ma haine alors que Martin, en fait sans le savoir, c’est lui aussi que j’agressais. Alors que lui c’est un homme merveilleux,
M-Euh, Martin, c’est le, ton ?
L-Le gendre de ma marraine. (…) Lui c’est un homme merveilleux, que, ben que j’adore hein (…), mais heu, sans, sans me rendre compte que quand je criais ma haine des hommes, (…) à chaque fois je me rendais pas compte que lui il en prenait pour son grade aussi malheureusement, parce que lui aussi c’était un homme.
M-Hmm. Oui oui.
L-Et, bon ben, bon ben, et maintenant, il rigole. Alors, alors quand il voit [mon conjoint], [inaudible], qu’il me voit collée contre lui : « alors rappelle-moi, c’est quoi les hommes ? C’est quoi ? C’est de la merde ? »
M-(rire)
Danielle a beaucoup de mal à trouver ses mots pour me décrire sa peur, qui est plus étendue encore, puisqu’elle concerne une situation d’interlocution, et non simplement des catégories de personnes « marquées » comme agresseurs potentiels.
Danielle – sur, ma façon de, de, de, d’avoir peur de, de, d’un quelconque contact avec qui que ce soit, euh, de, de très mal gérer le, le, la discussion euh justement avec une seule personne
M – Hmmhmm.
D – de … de, de fffh, de ne pas gérer du tout … les rapports de séduction, je, je les fuis euh
M – Hmmhmm
D – Et voilà, et c’est ça, je les fuis, et à la fois je les recherche, c’est, c’est, y’a, y’a un truc qui me, et donc ce genre de choses, que, je réfléchis, euh, justement, sur lesquelles je me dis ben, ça doit être lié à ça parce que euh, euh, parce que, parce que du coup le, le contact est devenu quelque chose de, de, ‘fin, le contact et la discussion sont devenus quelque chose que, que, qui implique forcément euh, ‘fin euh, (silence) euh, (silence) que l’autre cherche quelque chose en fait. (…)
M – Quand tu dis « quelque chose », ça serait … ?
D – Fffhou … Ca serait, ben, ben, euh, (long silence). Ce serait … heu que … fffhou, ce serait qu’on cherche à, à me séduire pour pouvoir euh, pour pouvoir avoir des relations sexuelles [inaudible] avec moi en fait. C’est, c’est systématiquement ce que, ce que … ce dont j’ai peur et je sais très bien que c’est pas le cas, je sais très bien que, que, la plupart des gens, ce … c’est pas du tout le cas en fait, c’est, c’est, juste ils font ça, voilà en fait quoi, enfin je veux dire euh, on va pouvoir mettre la main sur l’épaule à quelqu’un sans que ce soit euh, ‘fin je sais pas.
M – Et … hommes comme femmes ?
D – Ouais.
M – Ouais.
D – Ouais. Euh … voire même depuis quelques temps je suis plus intimidée par les femmes que par les hommes. [C’est autour de la période où elle sort avec des femmes]
A travers ces trois exemples, nous pouvons constater que les incesté/e/s vivent dans un monde où le danger n’est pas projeté au loin, sur des groupes inférieurs socialement et/ou géographiquement, mais ramené au plus près, contrairement aux catégorisations dominantes chez les professionnelles(els) interviewées(és).
Alors que chez les professionnelles(els), il est possible d’identifier assez clairement trois directions existantes où sont comme projetés, de façon défensive, les incestes (toujours « loin »), chez les incestées, ce n’est pas le cas.
Dans l’imaginaire des professionnel/le/s rencontré/e/s, l’inceste se situe : dans les campagnes et les montagnes, dans les DOM-TOM, chez des gens pas trop cultivés.
Dans l’imaginaire des incestées, la diversité semble plus grande, commandée avant tout par les caractéristiques de l’incesteur ou des incesteurs, et aussi, pour Danielle, par le fait que les menaces sexuelles peuvent provenir également des femmes peut-être du fait qu’elle a eu des relations (désirées celles-là) aussi bien avec des femmes qu’avec des hommes. Néanmoins, pour elles, le danger est toujours situé près, et les vise ou visera des proches auxquels elles tiennent.
Il y a donc bien, dans ce dernier cas, intégration du fait qu’il peut exister, dans son environnement proche, des êtres doubles. Tout comme c’était le cas pour les enfants ayant subi ou été témoins d’actes de torture, dont nous parle Sironi : « Aux yeux de l'enfant [en question], tout adulte est potentiellement un être clivé, quelqu'un qui, à tout moment, peut devenir un assassin, un massacreur, un violeur, un tortionnaire. Ces enfants ont tôt appris qu'en psychologie humaine, une chose et son contraire peuvent co-exister. Expliciter avec lui l'intention des systèmes tortionnaires, par l'intermédiaire des jeux interactifs avec l'enfant par exemple, va permettre de remettre le monde à l'endroit. Il faut aussi dire à l'enfant qu'il pourra encore rencontrer des êtres doubles. (…) Nous devons nous placer à leur niveau de maturation, en les "réparant" à l'endroit même de leur blessure : avoir eu accès trop tôt à la face sombre de l'humain. » (Sironi, « Les enfants victimes de tortures et leurs bourreaux », texte disponible sur internet). Certainement, des nuances pourraient être trouvées dans ces situations aussi : peut-être, ce sont certains adultes plus que d’autres, en fonction par exemple de ressemblances (physiques, sociales …) avec le(s) tortionnaire(s), qui seront perçu/e/s comme potentiellement dangereux.
Ainsi, une transformation de l’enfant victime a été effectuée par l’agression. Une transformation de sa vision des autres. Vinar ajoute alors que le trauma induit par la torture ou d’autres actes monstrueux intentionnels est, précisément, bien spécifique, et se distingue également de celui induit par une catastrophe naturelle, aussi effroyable soit-elle : alors que la catastrophe naturelle, tout comme l’expérience de la maladie, promeut normalement la solidarité, celle causée par un autre humain induit un cercle de haine et de rancœur sans fin. Comme c’est le cas pour Lydia vis à vis de l’ensemble des hommes, d’Aurélie vis à vis des noirs, « lions », « grands frères » potentiels, ou de Danielle vis à vis de l’ensemble des humains, qu’elle a en outre envie de frapper ou de rejeter avec répulsion, à chaque fois qu’elle a eu quelques mois de relations sexuelles avec ...
Ce cercle infernal s’explique, nous dit Vinar, par le fait que l’autre destructeur, contrairement à la catastrophe naturelle ou à la maladie, s’attaque à un pilier de l’humanisation : celui de l’identification de soi à l’humain, effectuée à travers le visage accueillant du parent alors qu’il soutient la fragilité de la dépendance originelle du bébé humain. Il développe : « C’est ce pilier fondamental qui se craquelle ou s’effondre dans l’expérience de la torture et du camp de concentration, où l’autre démissionne de sa condition de semblable et se transforme en monstre souriant qui se délecte de l’anéantissement de la victime. » (Vinar, 2005, p 1212). Le monstre souriant qui se délecte de l’anéantissement de sa victime est également une image familière aux incestées : comme le dit Lydia, les hommes (c’est à dire « les gens comme lui ») sont tous des violeurs potentiels. Mais également, et c’est tellement logique, elle n’est « bonne qu’à ça », qu’à être violée : Vinar ajoute alors qu’ainsi, se crée un noyau traumatique d’une redoutable spécificité, puisqu’il disloque l’appartenance à l’humanité, transforme sa victime, en un « déchet », un « morceau », aux yeux du/de la tortionnaire (ou de l’incesteur) et parfois aux yeux de la victime elle-même.
Vinar effectue alors, immédiatement, une critique très dure de la médicalisation et de la victimologie, qui, pensant (et prônant) la torture comme maladie du/de la torturé/e, « séparent et aliènent [ainsi] le torturé de sa condition de citoyen, de sa condition de semblable et d’alter ego » (Vinar, 2007, p 51), une nouvelle fois et d’une autre manière. De même, peut-on « guérir » de l’inceste, comme cela se dit et s’écrit parfois ?
Il explique alors qu’il n’existe pas de description objective, puisque décrire/percevoir, c’est en fait déjà interpréter, d’où l’importance de la manière dont on nomme les faits, puisqu’elle « étaye la façon de voir les choses et organise la nature des faits ainsi que les objectifs du processus thérapeutique. » (Vinar, 2007, p 56).
Par exemple, la « névrose traumatique », ou encore la « névrose de guerre », désigne bien une névrose, même si « traumatique » ajoute qu’elle vient de l’extérieur, du social violent (ou, j’ajoute, du social violent via un familier violent), et non de nos conflits psychiques internes.
Cette terminologie, poursuit-il, ou celle, plus récente, de Post Traumatic Syndrom Disorder (PTSD), se veut description objective et objectivante du réel. Mais en réalité, elle organise ce réel d’une manière plaisante : il y a des malades, qui souffrent, et des thérapeutes bien intentionné/e/s, indemnes de cette maladie, qui sont là pour les aider.
Cette césure est fantoche, pour Vinar. Il l’analyse comme constituant un processus de défense qui nous évite l’idée, pénible, que la société entière est en réalité impliquée et concernée. Comme nous avons pu le constater pour l’inceste, les incesteurs n’étant pas seulement des pères, oncles, frères, mères, mais également des ami/e/s, des médecins de la sécurité sociale ou autres personnes « cultivées comme soi ». Voire des collègues. Or l’impact de l’inceste n’est jamais pensé « hors de la famille » : c’est la famille, que sa révélation fait éclater, exploser. C’est la famille, qui est « incestueuse » comme le relate la littérature sur le sujet (voir par exemple Nisse-Gruyer-Sabourin, 2004, p 81 et suivantes). Ou encore « incestuelle » (Racamier, 1995). La famille se voit ainsi isolée, dans les analyses, du reste du social, telle un kyste ou autre tumeur, indiscernable et, surtout, bien distincte de soi. Vinar me relaie alors pour ajouter qu’il existe même « une certaine complaisance réciproque entre la victime et son thérapeute selon laquelle, du fait qu’il y a un indemne, le lieu de l’indemnité devient le fétiche qui exorcise la possibilité de ce cancer du lien social. » (Vinar, 2007, p 57).
Kyste, tumeur, cancer : nous ne quittons pas le domaine de la métaphore médicale, qu’il peut être intéressant, alors, de filer.
François Laplantine nous fait remarquer que « Déjà au XVIIe siècle, Thomas Paynell écrivait : « un cancer est une tumeur causée par une humeur mélancolique qui ronge les parties du corps ». Et l’Oxford English Dictionnary précise : « cancer, tout ce qui ronge , corrode, corrompt et consume lentement et secrètement ». » (Laplantine, 1997, p 92). Oui, mais voilà : le cancer, précisément, ce sont bien ces cellules déviantes, issues de soi et qui ont proliféré de façon trop importante, essaimant dans tout le corps ?
Alors retenons l’idée de cancer du lien social.
En outre, Laplantine s’intéresse aux modèles étiologiques de la maladie. Il raisonne, systématiquement, par couples d’oppositions, ce qui est une des manières possibles de diviser le réel pour en obtenir une compréhension. Je propose de partir de cette classification-ci.
Il distingue le modèle ontologique, qu’il oppose au modèle relationnel, de la maladie.
Dans le modèle ontologique, il existe un « être », une essence de la maladie, « Les maladies sont [alors] isolables. L’anatomie, au moyen d’observations instrumentales puis de la dissection, détermine l’endroit exact du mal tout entier concentré sur un organe, et la chirurgie – pratique localisatrice s’il en est – est alors en mesure d’opérer. De plus, la cause de la lésion est souvent appréhendée comme un agent matériel lui-même parfaitement cernable. Ainsi, la médecine devient-elle objective au sens où elle procède à une objectivation, et le praticien, qui peut désigner l’adversaire par son nom, est mieux à même de lui tirer dessus ou de le faire déguerpir. Les représentations localisatrices rassurent. Il est rassurant en effet de savoir que ce qui ne va pas, c’est un organe qui est en moi, mais qui n’est pas réellement moi-même. » (Laplantine, 1997, p 59). Un peu comme une « famille incestueuse » pourrait être un organe qui est dans notre société, mais ne fait pas réellement partie de notre société …
S’intéresser au « fonctionnement inconscient des familles incestueuses », titre d’une conférence du CRIAVS Rhône-Alpes en 2010, n’est-ce pas aussi se désintéresser des relations existantes entre ces familles et le reste de la société ?
Dans son témoignage, Isabelle Aubry (2008), fondatrice de l’association AIVI, nous apprend dès les premières pages que son père incesteur l’emmenait régulièrement dehors, dans des « partouzes » où il la « prêtait » à des dizaines d’hommes, alors qu’elle était adolescente. Dorothée Dussy fait remarquer que « Dans la mesure où les enfants impliqués dans la pédopornographie le sont la plupart du temps par un parent, il est intéressant de jeter un œil au chiffre d’affaire de l’industrie internationale de pédopornographie. Il atteint aux Etats-Unis entre deux et trois milliards de dollars américains par an. Plus d’un million d’images pornographiques impliquant des enfants circulent sur internet. » (Dussy, 2009, p 135-136).
Et, on pouvait entendre, il n’y a pas si longtemps que cela, « Au cours des années 1970, le discours sur ce que l’on commence à appeler la pédophilie [qui] pren[ait] ici et là une dimension politique (…). Pour beaucoup de nouveaux pédophiles, comme ils se nomment eux-même, la pédophilie est une culture au sens où elle relève d’un ars erotica qui, via l’initiation des plus jeunes, romprait avec la scientia sexualis triomphante depuis le XIXe siècle. » (Ambroise-Rendu, 2008, p 74-75). Ceci, en France métropolitaine, et, on le voit au vocabulaire, dans des milieux loin de l’inculture …
Toutefois, c’est à la même époque, durant les années 1970, donc, que Christiane Rochefort, s’inscrivant dans le mouvement féministe alors renaissant, par son texte « Définition de l’opprimé » en introduction du SCUM manifesto, retournait à ces « initiateurs » potentiels que « Il est hors de question que l’oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez-vous à sa place. Ce n’est pas son chemin. Le lui expliquer est sans utilité. L’oppresseur n’entend pas ce que dit son opprimé comme un langage mais comme un bruit. C’est dans la définition de l’oppression. (…) Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes. C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance et pour l’opprimé une connotation-souffrance. [souligné par moi] Ou : divertissement-corvée. Ou : loisir-travail. Etc. Allez donc causer sur ces bases. » (Rochefort, 1967).
(…)
Vinar (…) continue son exposé, pour nous dire que parler de la torture, ou des génocides, ce n’est donc pas parler de victimes et de leurs séquelles, mais dénoncer, via leurs témoignages, un ordre de vie en commun qui fonde son existence sur la destruction du semblable. Les actes monstrueux (torture, disparitions, génocides, liste-t-il) ne sont donc pas une maladie de la victime, mais un mal civilisationnel. Et l’utilisation sexuelle d’un/e mineur/e par un/e apparenté/e ?
Une tentative de réponse à cette dernière question pourrait se trouver dans un dictionnaire de psychologie réédité tel quel en 2003. A « inceste », nous pouvons lire, après une évocation du fantasme incestueux des enfants théorisé par Freud, que néanmoins « l’inceste semble répandu dans tous les milieux. Par ailleurs, certains auteurs estiment que les conséquences sociales et judiciaires de la divulgation de l’inceste (…) sont aussi traumatiques que la séduction incestueuse elle-même. Ces résultats semblent corroborés par une étude comparative récente : on trouve dans les deux groupes de femmes victimes d’inceste trois fois plus de troubles de la sexualité (frigidité) que dans le groupe témoin ; mais les victimes d’inceste ayant dénoncé leur séducteur semblent plus perturbées psychologiquement, tandis que celles qui ne l’ont pas dénoncé ne présentent aux tests de personnalité pas plus de trait névrotiques que les sujets du groupe témoin. » (Doron et Parot, 2003, p 372)
Que doit en conclure le ou la psychologue en formation ?
Vinar, psychanalyste, et ex-victime de tortures, conclue pour nous, en rappelant opportunément « l’affirmation de Ferenczi selon laquelle le plus traumatique n’est pas le trauma lui-même, mais le démenti du fait traumatique. » (Vinar, 2005, p 1212), et en questionnant le fait de « superpos[er] la notion de « guérison » et celle de silence symptomatique » (Vinar, 2005, p 1214). » (Perrin, 2010, pp 132-147)
Pour finir, voici ma critique sur cette analyse que j'ai rédigée il y a quelques mois maintenant : cette analyse ne sort pas assez explicitement du "criminel par essence". On pourrait croire qu'il existe des hommes par exemple malfaisants depuis leur plus tendre enfance, presque génétiquement, finalement. Et que simplement, ils resteraient simplement des "traîtres invisibles" des années durant, avant d'être démasqués dans leur monstruosité si bien dissimulée.
Or, à moins de croire comme Nicolas Sarkozy et quelques autres qu'il existe un "gène de la pédophilie" (transmissible à sa progéniture ? Cela signifie donc quoi, si je suis victime d'un père incestueux ? Que je peux à mon tour devenir pédophile car on a les mêmes gènes ?). A moins de croire ça, force est de constater que les "traîtres invisibles" commencent par être des enfants humains comme les autres, et non des "monstres", donc que l'entrée dans une "carrière" d'agresseur sexuel (ici incestueux) n'a rien de non social, de biologique, et, par suite, que la société joue un rôle, qui nous reste à comprendre, dans la génèse de la démolition de certains de ses membres par d'autres.
Ceci est certes bien plus déplaisant que de penser qu'il existe des monstres et qu'ils ont toute leur vie été ainsi. Mais ceci me semble également bien plus constructif pour commencer à lutter réellement contre la démolition de certains membres de la société humaine par d'autres. Et pas uniquement pour ce mal ultime qu'est l'inceste (le sniper, le hutu, ou, plus proche de nous, le préfet qui ordonne le guet apens policier place bellecour le 21 octobre dernier … sont d'autres exemples).
Bref, mon analyse avait selon moi le mérite de déconstruire la croyance rassurante selon laquelle il y aurait des "familles incestueuses", hors social, dont nous ne croiserions finalement jamais les membres tant elles sont isolées de tout. Et comme manque de ne pas assez introduire la dimension historique, temporelle, du mal commis.
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Rappel pour les nouveaux/elles arrivant/e/s : les auditions pour les allocations recherche doctorale de Lyon 2 ont eu lieu début juillet 2010. Mais je n'ai pas été auditionnée. Pourtant, mon dossier était suffisamment « excellent et innovant » (thèse proposée : "l'inceste : entre impunité et luttes pour la reconnaissance", note obtenue au mémoire en master 1 : 18 et en master 2 : 18 aussi).
Cela, parce qu'il manquait un papier dans mon dossier : mon relevé de notes définitif, indisponible avant la date limite de rendu de ce dossier de candidature. Puis cerise sur le gâteau, mon directeur de thèse pressenti était professeur émérite, et l'on m'a alors affirmé que les professeur/e/s émérites ne peuvent absolument pas prendre sous leur direction de nouvelles thèses (les textes ministériels disent l'inverse).
Donc depuis, partant du principe que 10 minutes d'oral et d'échanges, plus une allocation recherche potentielle de perdue, le valent bien, j'ai publicisé ma recherche, par petits bouts, à ceux et celles qui ont ainsi fait le choix de refuser de l'auditionner.
Et j'ai peu à peu élargi la liste de mes destinataires, au cours de l'été, car quitte à faire, autant faire savoir largement pourquoi ma thèse ne pourra probablement pas se réaliser, et quel contenu se retrouve ainsi interdit d'existence, de facto, dans le champ de la recherche.
A moins qu'il y ait des solutions proposées par ceux/celles qui sont en position de le faire ?
Pour l'instant, les solutions proposées ont été :
- un courriel de désapprobation de mes moyens d'action par mon (ex ?) directeur de thèse pressenti, à son retour début septembre, me reprochant en outre mon manque de confiance (sic) en lui et ses collègues. Il a alors également préféré se solidariser avec son collègue le directeur de l'école doctorale.
-dans la foulée, l'entretien - enfin - obtenu avec le président de l'université Lyon 2, du 10 septembre dernier, n'a eu d'entretien que le nom, dans ce nouveau contexte. Auparavant, je l'avais contacté par mail dès le 14 juin, mais sans aucune réponse ...
-la censure, fin septembre, par le serveur de l’université Lyon 2, de mon adresse usuelle (sophieperrin.universite(at)yahoo.fr) ainsi que des adresses google que j’utilisais pour envoyer les présents courriels (j’en ai donc créé d’autres, pour passer outre ce barrage). Ceci rend impossible, depuis lors, tout envoi de ces adresses là de mails à destination d’adresses se terminant en @univ-lyon2.fr : le serveur me les renvoie avec la mention comme quoi ils ont été classés comme « spam » … qui a pris cette décision et suite à quelles délibérations collectives et pondérées ? Mystère.
-les incidents du mardi 9 novembre, pas ceux qui ont fait la une des média, mais ceux qui se sont déroulés de l’autre côté de l’université à Bron, sur le parking devant le bâtiment K. Il a été considéré comme légitime et naturel, par trois étudiants de ma promotion, de m’immobiliser physiquement afin de « protéger » le responsable du master d’une potentielle attaque physique de ma part. Je voulais simplement un interlocuteur, et le responsable du master fuyait (physiquement et par son indifférence), donc je l’ai suivi jusqu’à l’entrée du bâtiment, puis du bureau où il est entré, en lui disant à haute (et verte) voix, excédée, ce que je pensais.
Le seul interlocuteur que j’aie rencontré ce jour-là, pendant 30 secondes, le temps d’une évacuation de bâtiment, c’est le président qui venait de se faire lui aussi molester, à la même heure, ayant suscité d’autres craintes auprès d’autres étudiant.e.s …
Finalement, ce que cette histoire montre, c'est la capacité d'une institution à produire des situations caricaturales et d'une injustice insupportable, simplement parce que face à un/e étudiant/e, et qu'il/elle ait raison ou tort, la "coutume" semble être de faire corps avec les pairs, les collègues, qui n'étaient pourtant ici pas attaqué/e/s en tant que personnes. Est-il à ce point insupportable de reconnaître qu’un.e pair peut avoir fait une erreur ou commis une faute, et de les réparer ?
Aujourd'hui, je continue mon action, parce que je n'accepte toujours pas - et je n'accepterai jamais - la manière dont l'institution m'a traitée là jusqu'à maintenant.
Aujourd'hui, j'attends de l'institution et de ses représentant/e/s la reconnaissance du mal qui m'a été fait en son nom, et ma réintégration. C'est à dire la possibilité de faire mon doctorat dans ma discipline (l'anthropologie), et dans mon université (Lyon 2), avec un choix réciproque et réel de ma direction de thèse, le tout dans des conditions (matérielles et financières) reconnaissant la qualité de mon travail à sa valeur réelle.
Cette demande de reconnaissance de la qualité de mon travail à sa valeur réelle s’applique également pour la correction de certains de mes travaux de master 2.
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Please consider the environment - do you really need to print this email?
Décrire le parcours d'Andre Tiran est très intéressant mais je ne comprends pas à quoi ça vous sert dans votre entreprise personnelle aujourd'hui. L'injustice est la pire des choses, je l'entends, mais compte-tenu de l'affaire en cours, ce n'est vraiment pas judicieux d'envoyer de tels mails aux personnes concernées. Le faire par un écrit journalistique, cela serait d'autant plus intéressant et donnerait davantage de crédit à votre démarche.
RépondreSupprimerC'est bien cela, vous vous décrédibilisez au fur et à mesure que vos écrits deviennent intéressants. Et concernant le fait que ce mail a été mis dans les documents à charge, vous ne voyez vraiment pas? Disséquer le parcours de quelqu'un pour le mettre à nu sur la place publique dans un esprit de vengeance ne peut que vous nuire.
Il y a des postures à ne pas avoir dans cette société, car le sentiment d'injustice se retourne contre vous et malgré vous. Trouvez un autre moyen, car vous creusez votre propre trou de cette manière... Le statut de victime peut avoir plusieurs ressorts, et à ce niveau-là, vous en jouez parfaitement.. Et probablement trop. Je vous souhaite de faire votre thèse, ainsi parviendrez-vous peut-être à la résilience...
Bonne continuation.
Cher anonyme,
RépondreSupprimerVous écrivez "concernant le fait que ce mail a été mis dans les documents à charge, vous ne voyez vraiment pas? Disséquer le parcours de quelqu'un pour le mettre à nu sur la place publique dans un esprit de vengeance ne peut que vous nuire."
Pour votre info, les renseignements sur le parcours (universitaire et militant) d'André Tiran proviennent tous d'internet (sauf le volet militant). Si j'avais voulu mettre ce Monsieur à nu, j'aurais évoqué plutôt ce qui m'a été rapporté de sa vie de couple, ou encore de son enfance - pour rappel, ce sont les militants de sa génération, qui m'ont accueilli dans l'extrême gauche lorsque j'étais un jeune CREA'tif...cela fait donc longtemps qu'ils le connaissent, et ils ne se sont pas privés de me décrire par le menu son parcours...personnel. Que je me suis gardée d'étaler ici.
Vos insinuations sur le fait que j'aurais, en somme, déshabillé publiquement ce pauvre André Tiran, sont à la limite de la diffamation - voire au delà. Vous avez de la chance que je ne sois pas procédurière façon Marine Le Pen ou l'université Lyon 2 au-delà de ses 40 ans ;-)
Quant à votre ton donneur de leçons, au lieu de critiquer ce que j'ai fait et me culpabiliser de creuser sciemment mon trou (tant je suis stupide, face à votre haute intelligence qui sait m'indiquer la Voie ;-) ), je me permets de vous conseiller de le ranger à sa place : au fond du placard.
Merci.
Le CREA'tif. Pas encore assigné à résidence.